lundi 28 juin 2010

L'illusioniste

L’illusionniste

D’après une histoire originale de Jacques Tati
Adaptation Sylvain Chomet

Les magiciens n’existent pas

résumé

L’illusionniste raconte l’histoire d’un magicien sur le déclin, qui va là où il peut trouver un peu d’argent. Arrivé en écosse, son numéro séduit une jeune fille qui le suit jusqu’à Édimbourg. Arrivés là, il fait l’illusionniste et d’autres petits travaux pour acheter à la jeune fille tout ce qu’elle souhaite. Elle tombe finalement amoureuse d’un jeune gars, et l’illusionniste, n’arrivant plus à subsister, rentre en France sans la prévenir.

Impressions

C’est un très beau film, avec un compositing très réussi. On voit clairement le travail de l’image. Il est regrettable que l’histoire ne suive pas. Pourtant, Sylvain Chomet n’est pas un débutant ! Il a écrit et réalisé le court métrage d’animation la vieille dame et les pigeons, ainsi que le long métrage d’animation les triplettes de Belleville, qui sont dynamique et plein d’inventivité. L’image est ici aussi pleine d’inventivité ; mais l’histoire…

On se demande quand ça se décide à partir, et ça ce fini avant même que les personnages ne soient en place. Entre temps, on suit un « M Hulot » ou un « Jacques Tati » sur le déclin, auquel se raccroche la jeune fille, Alice, à qui il achète tout ce qu’elle souhaite.


Que nous révèle le fond de cette histoire ? Plusieurs polémiques se sont greffées au film. Tati aurait écrit ce scénario pour sa fille non reconnue Helga Marie-Jane Shiel. Les petits fils jurent que Chomet a « saboté le script, en cachant les intentions troubles de Tati avec sa fille »[1] Si tel est le sujet du script, on comprend que Tati se soit arrêté au milieu, sans l’avoir fini. L’atmosphère de Tati étant bien présente, cependant, Sylvain Chomet n’a pu trop toucher au script original de peur de le dénaturer, transformant simplement Prague en Édimbourg. Seulement, cette absence de parti pris est sensible par le spectateur, qui se repaît de la beauté esthétique et plastique de l’œuvre, mais qui n’arrive pas à donner une logique à l’histoire, trop longue, trop parsemée, et pas suffisamment achevée.

Le scénario n’est pas abouti parce qu’on a du mal à saisir les objectifs de tous les personnages. Certes, M. Hulot veut gagner de l’argent pour vivre, mais Alice ? Pourquoi se colle-t-elle à cet homme qu’elle ne connait pas ? Pourquoi M. Hulot la prend-il sous son aile ? Nous n’arrivons pas à percevoir la raison : pour de l’argent, pour de la magie, ou pour autre chose ? Nous pouvons rester dans le flou la durée du film et avoir une révélation finale, mais ici, lorsqu’il s’achève, le réalisateur et/ou le scénariste ne donne pas les clefs, laissant le spectateur un peu sur sa fin : Elle part avec le garçon, l’illusionniste rentre en France tout en lui laissant un message « Magicians do not exist ». Comment comprendre cette phrase énigmatique ?

Absence de parole

Tati a écrit un scénario pour Tati, muet. L’absence de parole se fait pourtant cruellement ressentir, pour des questions d’affects liés aux personnages :

Si Tati avait réalisé ce film avec des acteurs, leurs présences et leurs mimiques aurait permis d’oublier les dialogues, transformant la scène en un film muet, comme il l’a démontré dans chacune de ses productions ––– Nous sommes ici en animation.

Wall-E a tenté, avec plus de succès, de réaliser un film avec très peu de dialogues. Ce film est construit en deux temps : les deux premiers tiers se déroulent autours de problèmes entre robots non-antropomorphiques, et le dernier est emplis d’humain. Il n’est pas étonnant de voir les deux robots communiquer sans parler ; et il faut noter que si les humains ne parlent pas l’un à l’autre, au début de cette partie, ils sont noyés dans un bourdonnement de paroles.

Les deux possibilités de films sans paroles vers laquelle tend L’illusionniste prouvent tout de même que l’on a besoin d’un minimum de dialogue entre un minimum de deux être humains. Ce film ci n’est pas sans paroles, mais ils parlent ‘yaourt’, c’est-à-dire qu’entre deux ou trois borborigmes, on entend ce qui semble ressembler à un mot, français ou anglais.

Ça ne marche pas.

Les deux moments où le film muet sans dialogues marche sont ceux où l’on voit les personnages, mais, comme une vitre est placée entre eux et nous, l’image est totalement muette[2]. Dès que des scènes telle celles-ci passent, on récupère alors toute la dynamique que recherchait Tati. Si les personnages avaient vraiment parlé, ces scènes-ci encore plus fortes (mais ce n’est pas l’objectif du film).

Choix des plans

Chomet à privilégié une façon de tourner « à la Tati », c'est-à-dire comme un théâtre filmé. 400 plans composent les 1h20 de film, ce qui est peu quand on sait que les triplettes de Belleville ou tout film classique est composé de 1500 plans. Cette réduction des plans permet à Chomet de réaliser de très belles incrustations, un très beau compositing mêlant à peu près dans tous les plans de la 3D et de la 2D, sans que cela n’heurte l’œil. En contre partie, la majorité des plans sont large, c'est-à-dire qu’ils prennent la scène en pied. Ce travail aurait pu être ponctué de quelques plans rapprochés, que l’on puisse voir par exemple quelques tours de magie importants, notamment vis-à-vis d’Alice.


Conclusion

En conclusion, je ne conseille pas d’aller voir ce film pour le scénario de Jacques Tati, mais plus pour la beauté de l’image et son compositing parfait alliant la 3D à l’animation traditionnelle et les mélanges d’effets de fumée. N’y allez pas par contre, uniquement pour la toute fin ou Sylvain Chomet à fumé on ne sais quoi, les quatre derniers plans étant totalement en 3D et en mouvements, avec une caméra qui tourne autours d’Édimbourg à toute allure, ce qui détruit la beauté des décors à plat, ce plan n’apportant en plus rien à l’histoire.

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[1] http://www.cinemateaser.com/?p=3697

[2]Je vous renvoie par exemple à la scène où Hulot se fait virer du garage où il avait trouvé un travail de nuit dont je n'ai pas pu récupérer d'image.