samedi 16 octobre 2010

High Plains Drifter - l'homme des hautes plaines

High Plains Drifter – L’homme des hautes plaines


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Réalisé par Clint Eastwood
Ecrit par Ernest Tidyman et Dean Riesner (non crédité)

L’homme des hautes plaines est le second film de fiction dirigé par Clint Eastwood, en 1973. Ce dernier fait encore ses premières armes : le film se rapproche de la profondeur et du minimalisme qu’auront par la suite Impitoyable, Sur la route de Madison ou plus récemment Grand Torrino, sans arriver cependant au même niveau émotif. C’est vraiment le film d’un grand cinéaste en devenir.

Ce western raconte l’histoire d’un cowboy qui arrive dans un petit village et qui est engagé par le shérif pour qu’il protège les habitants de trois tueurs qui ont pour ambition de mettre la ville à sac. Ce cowboy, dont l’identité nous est inconnue tout le long du film, accepte, à condition qu’il puisse faire tout ce qu’il souhaite.

Les scénaristes doivent nous faire comprendre que ce cowboy est le plus fort, un peu comme un super-héros. Il doit donc dominer sur le masculin et le féminin. Observons maintenant comment est composé le début du film : le cowboy arrive au village. Les habitants masculins le provoquent et il répond en les tuants. Les habitantes féminines le provoquent et il répond en les violant.

Ce cowboy tient des relations ambiguës avec cette ville, comme nous le découvrirons par la suite, et apparait ici comme quelqu’un de violent, qui possède une conception du bien et du mal bien à lui : à chaque fois, sa réponse apparait disproportionnée par rapport à la provocation. Cependant, le spectateur ne le prend pas pour le grand méchant de l’histoire : il s’identifie même tout de suite à lui. Afin de comprendre comment les scénaristes ont fait pour que ce personnage ne soit pas antipathique, il faut comprendre le travail d’orfèvre réalisé par les scénaristes, lors de cette séquence.


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Le cowboy arrive au village.

Cette proposition peut être à nouveau séparée en deux : le cowboy arrive à vue du village ; il y pénètre.

Pendant qu’il fait le trajet pour arriver à vue du village se déroule le générique en surimpression. L’image propose pour tous personnage le cavalier sur son cheval. Le montage nous oblige à suivre son avancée, et insiste sur les sabots du cheval. Nous n’avons alors aucune idée des ambitions du cavalier, mais du fait que son cheval avance de façon hasardeuse sur le sol meuble, le public s’inquiète un peu pour celui qui le chevauche. Nous avons l’intuition qu’il s’agit de Clint Eastwood, étant donné que son nom, sur le générique, c’est inscrit juste après l’apparition du cavalier. Mais nous ne voyons pas son visage.

Le village apparaît en contre bas, avec le cowboy en amorce. Celui-ci continue sa descente, et passe ensuite par un cimetière avant d’entrer dans l’espace juridique de Lago. Le cimetière donne un destin au personnage. Nous reviendront sur ce lieu avec un autre axe problématique, lorsque nous allons parler du côté spectral de ce personnage, aussi n’anticipons pas. Le coté juridique est précisé par la pancarte, et l’espace juridique est construit : une route principale, bordée de maisons de bois. Cette route se déroule jusqu’à une église et se perd ensuite. Cette ville est une impasse, nous y reviendrons. Pour lors, reprenons notre cowboy, dès qu’il entre à Lago. Comme dans un western classique (et d’autres films aussi, comme Vanishing Point qui reprend le même thème d’homme solitaire à priori rejeté car non fixé), il est scruté comme un élément indésirable. A ce moment, les personnages nous sont tous présentés. Certains sortent d’un saloon, d’autres occupent les taches de maitre d’hôtel… tous sont au même niveau que lui. Seule une femme se situe à l’étage supérieur. Nous ignorons alors que c’est la femme « respectable » (là encore, nous y reviendront) qui est vue en contre plongée. Tous les hommes qui le scrutent suent – Les femmes, non, et l’étranger que nous suivons depuis le début non plus. Suer est-il synonyme, comme dans le Jules César de Mankiewicz tel qu’analysé par Barthes dans ces Mythologies, de débat profond sur la moralité de leurs actes ? Quand ceux qui ne sueraient pas seraient, comme le personnage de Jules César dans ce même film, serait ceux qui n’auraient pas de problèmes avec leur conscience ?

Notre cowboy solitaire gare son cheval au bout de la rue, près de l’église, puis revient au saloon.

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Les habitants masculins le provoquent et il répond en les tuant.

Nous entrons ici dans la seconde scène du film. A nouveau, cette proposition peut être divisée en deux : il va au saloon où on le provoque. Ensuite, il va se faire raser, et il répond à ce moment là à la provocation initiale.

Dans le saloon, la tension est visible, de par la pénombre de la pièce, allié à la couleur sombre des boiseries, tout ceci entrant en opposition avec le soleil violent de l’extérieur. Le cowboy demande une boisson (et une bouteille). On l’agresse pour la première fois verbalement, le traitant de « clochard » en version française. Il n’y a pas de réponse à apporter, aussi le cowboy n’en apporte-t-il pas. Il sort juste avec sa bouteille. Ensuite, il va se faire raser.

L’échoppe où l’on rase est très claire, à l’opposée du saloon. Elle est ornée de grandes fenêtres et laisse par suite entrer la lumière. Le barbier tremble lorsqu’il voit le cowboy entrer, mais il reste professionnel et lui propose ses services. Lorsqu’il voit les cowboys qui sortent du saloon en face et qui se dirigent par ici, il fait tourner le siège du cowboy pour que ce dernier ne les voie pas. Ainsi, les bad guys peuvent entrer sans problèmes dans la boutique. Et là, ils se provoquent à nouveau. Les hommes fraichement entrés vont pour tuer, mais celui qui est visé tire de sous sa serviette blanche, avec une précision diabolique. Tel était pris qui croyait prendre. Il s’essuie et quitte le magasin.

Plusieurs choses nous auraient poussés à prendre le cowboy pour un personnage antipathique, si elles n’avaient pas été amenées dans le bon ordre. Car en fait, il montre ici sa supériorité. Si l’on exclu l’ambiance lourde qui pèse sur le village pendant l’arrivé de Clint Eastwood (appelons-le comme ça, ce qui lui donne un nom), et qui se perpétue dans la suite de l’arrivée jusqu’à la mort des méchants, il y a des éléments de mise en scènes qui montrent qu’il est rejeté. La façon dont le barman décrédibilise sa bière en la servant, par exemple. La mise en scène : Clint face au reste de la ville, l’opposition se faisant oppressante car les hommes (il n’y a que des hommes dans le saloon) sont tout au fond, dans le bar, quand Clint vu, avec des taches de lumières derrière lui. Il se contient, cela se sent, mais il ne bouge pas. Ce n’est que lorsque sa vie sera mise en danger qu’il agira avec brio, soit dans le magasin du barbier, qu’il agira avec brio. Lorsqu’il tue, malgré que les plans s’enchainent à toute allure, une certaine insistance est faite sur le fait que les balles sont tirées avec précision, entre les deux yeux. Finalement, Clint ne tue pas de sang froid, mais dans un état de légitime défense. En plus, il tire bien. C’est à la fois le plus fort et le héros. Il règne sur les mâles.


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Les habitantes féminines le provoquent et il répond en les violant.

Cet épisode passé, Clint ressort de chez le barbier, se fait féliciter par un personnage-nain qui a son intérêt dans la suite de l’histoire, puis il se déplace avec un objectif qui nous est inconnu (et qui d’ailleurs n’a pas d’importance). Le cowboy a maté les hommes, que va-t-il en être des femmes ?

Une fille, Callie Travers, s’approche, et se heurte volontairement à lui. Elle commence à l’insulter. Il la prend par le bras, l’amène dans une grange et commence à la violer. Alors qu’elle ne voulait pas, dès qu’il semble être en elle, tout d’un coup son caractère change, et elle le retient.

Cette nouvelle séquence apparait comme une déclinaison de la précédente : les mêmes choses se passent, mais ici, le cowboy répond avec un acte sexuel, que, visiblement, il sait bien faire. Comme la femme apprécie, Clint gagne à nouveau sur ce tableau, et surtout, comme elle apprécie, il ne passe pas pour un méchant. En contre partie, la ville est vue comme un ennemi potentiel.

Les femmes dans ce western

A présent que ce début de film a été observé, arrêtons nous un instant sur les femmes qui composent ce western. Alors que l’on voit une pluralité d’hommes, cette ville semble presque dénuée de femmes. Effectivement, il n’y en a que deux. Pourquoi sont-elles si peu nombreuses ? Quels liens entretiennent-elles ?

Les deux femmes sont Callie Travers, dont nous venons de voir la présentation, et Sarah Belding, qui apparait deux séquences après la dernière que nous avons analysée, lorsque le cowboy va chercher un lit. Sarah Belding est la femme du gérant de l’hôtel. Sarah se présente d’emblée à l’opposée de Callie, car elle n’a alors pas spécialement envie de coucher avec ce cowboy étranger, au début du film. Lorsqu’il lui demande pourquoi Callie fait-elle tant de raffut à cause du ‘viol’ qu’elle a apprécié, elle lui répond : « parce que vous n’avez pas réitéré. » Ceci signifie qu’elle analyse, comprend et connait les autres personnes de la ville, en plus de gérer un hôtel, lors de l’absence de son mari. Elle est donc responsable. L’opposition qui se fait entre elles tient sur le rapport au sexe : une fille ‘facile’, qui le fait passer avant tout, et une femme respectable, qui fait passer son travail avant son plaisir.

Dans le film, Clint Eastwood bénéficiera des grâces de ces deux femmes, mais pas au même moment, et pas dans les mêmes conditions. Comme nous l’avons vu, il prend Callie pour la première fois dans une grange, où il la viole avant qu’elle accepte de le conserver en elle. La seconde fois qu’elle lui offrira ses grâces, ce sera après un dîner à l’hôtel, dans la chambre du cowboy. Elle en sortira avant que ladite chambre ne soit littéralement détruite par des hommes. Sarah Belding était la serveuse, lors du repas qui a lieu entre le cowboy et Callie. Elle parait un peu irritée de jouer ce rôle. Cependant, elle ne peut pas ne pas noter que Clint Eastwood traite Callie comme une ‘lady’. Aussi, à partir de ce moment, elle peut se laisser à lui, puisqu’il a des manières. C’est pourquoi juste après que sa chambre ait été brûlée, elle propose sa chambre à Clint (sous un biais dramatique qui révèle que son mari est un trouillard). A l’intérieur de la chambre a lieu une petite rixe, initiée par Sarah, afin de comprendre si oui ou non, le cowboy veut la violer. (la réponse est non), et elle finit par coucher avec lui.

Nous sommes proches de la fin du film, où Callie se fera houspiller par les brigands qui reviennent, quand Sarah décidera de quitter cette ville. Ces destins opposés (Callie restera définitivement en ville) montrent clairement l’évolution du concept du personnage féminin qui englobe ses deux entités : soyez responsable, et ne cédez que par amour sincère – Hollywood est conservateur. Cette étude, sur les caractères féminins, n’est qu’une petite partie du matériel que l’on peut analyser dans ce film.

L’étude de ses deux personnages montre deux choses. Tout d’abord, comme le précisait Thomas Shatz dans les années 60, le western est un genre « défini » : un lieu, un héros solitaire qui bouleverse l’ordre des choses, et qui le quitte bouleversé. Le héros est un personnage n’évoluant pas dans le cas du film qui nous intéresse, par contre, à peu près chaque personnage (et chaque entité représentée) évolue. Clint Eastwood quitte le village, et rien ne peut plus être comme avant. Ensuite, par rapport au genre du western, qui a beau être destiné à un public avant tout masculin, du moins à l’époque, et où les femmes étaient de mœurs plutôt légères, cet exemple montre bien que bien qu’elles se laissent toutes deux dans ce film passer sur le corps volontairement par plus d’un homme, jusqu’à montrer à son mari qu’elles le trompent, toutes ont une fonction par rapport à ce que dit l’ensemble du film.

Pour finir, voici le trailer :


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J'ai étudié précédemment Gran Torrino à l'adresse suivante :

mardi 5 octobre 2010

Easy Rider

Easy Rider

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Un film de Dennis Hopper,
écrit par Peter Fonda, Dennis Hopper et Terry Southern

Easy Rider conte l’histoire de deux hommes qui parcourent les Etats Unis à motos, partant de l’état de Californie pour celui de la Nouvelle Orléans, afin de participer au carnaval qui y a lieu. Ils ont un peu plus d’une semaine pour faire leur trajet.

Présentation des protagonistes Wyatt et Billy

Les deux protagonistes sont Wyatt (interprété par Peter Fonda) et Billy (Denis Hopper). Ils sont tous deux très différents, pour ne pas dire opposé. En fait, ils représentent chacun un des deux états d’esprit qui divisent les motards. Les costumes et les motos ne sont pas les mêmes, dans une optique certes de différencier les deux personnages, mais aussi de les caractériser.

La différence entre les motos (toutes deux des Harley-Davidson Panheads Choppers 1951) existent. La première raison à cela est que Dennis Hopper ne la conduit pas aussi bien que Peter Fonda, qui, lui, est un vrai motard. Il s'est sont donc permis des modifications plus poussées, chopperisations avec le customisateur Tex Hall.

« La Captain America est un chopper comme on en n'avait encore jamais vu, même en Californie. Personne à l'époque n'avait construit une Harley chopperisée, équipée d'une fourche rallongée de 12 pouces (plus de 30 cm) et d'un angle de chasse de 42°. »[1]

Cependant, cette différence, due à la base à un problème de conduite, est exploitée. Sur la moto de Wyatt « Captain America », est peinte un drapeau américain, drapeau repris au dos du blouson noir de Peter Fonda. Le conducteur est dans une position qui lui force à se montrer relaxé. Physiquement, il a du charisme, c’est un beau gosse : c'est l’archétype du héros américain. Son nom vient de Wyatt Earp, célèbre marshal de Tombstone ayant prit part à la fusillade de O.K. Corral, qui a donné lieu à plusieurs Westerns. Par suite, ce sera son histoire plus que celle de Billy que l’on va suivre.
Wyatt est quelqu’un de posé qui cherche à se ressourcer, à recommencer quelque chose lorsqu’il aura retrouvé une identité (nous reviendront plus en profondeur sur ce point dans la seconde partie de l’exposé). C’est celui qui lorsqu’il ne conduit pas se met à réfléchir, tandis qu’il est calme en conduisant. Il trouve donc son plaisir dans la conduite : c’est le chemin qu’il fait (effectif comme intérieur) qui lui donne une raison de le faire, et non les résultats qu’il pourraient en tirer. Les différentes réponses à son interrogation profonde de recherche d’identité ne lui plaisent pas tant que les panoramiques et la magie de l’instant sur la route.

A l’inverse se trouve Billy, sur la seconde moto. Il est habillé comme un « natif ». Billy, ainsi nommé en référence à Billy the Kid, est le jouisseur du groupe, celui qui essaie à chaque arrêt de rencontrer une fille, et plus si affinités. Sa moto est plus classique : ceci le positionne de façon plus traditionnelle, courbé vers l’avant. C’est aussi un style et un caractère : il veut être plus rapidement que Wyatt au bout du chemin. Il ne semble guidé que par ses pulsions, essayant à tous prix de séduire l’amie (disons) du hippie anonyme, avant que ce soit cette dernière qui se propose à lui, ou choisissant d’aller au bordel de luxe dont leur a parlé George. Mais il a les pieds sur terre, et n’arrête pas, comme une bonne conscience de Wyatt, de demander qui ils sont aux deux personnes qui montent avec lui. Le hippie ne veut plus de nom, et si Wyatt ne lui en demande pas plus, Billy cherche sans succès une réponse : il n’obtiendra rien de plus précis que « je viens d’une ville. » Il protège aussi Wyatt, ou du moins son sommeil, au travers de ce qui pourrait dans un premier lieu ressembler à un mouvement d’humeur, lorsqu’il apostrophe George qu’il ne connait pas encore dans la prison.

Cette opposition entre les deux protagonistes se retrouvait déjà dans les romans de la « beat génération », notamment dans Sur la route (On the road, 1959) de Jack Kerouack. J’y reviendrais en seconde partie.

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Je souhaite à présent, avant d’aborder le film dans son genre, faire un bref historique de « la fabrication » de cette fiction. Tout d’abord, le tournage a commencé en 1968, alors que l’âge d’or d’Hollywood était révolu. Les studios, notamment la Columbia, distributrice de ce film-ci, cherchaient à faire revenir les spectateurs dans les salles. Pour ce faire, ils ont choisi de laisser leurs chances à de jeunes cinéastes qui sortaient juste de leur formation. Ainsi, Hopper c’est-il retrouvé à la tête de ce film. La légende raconte qu’il était très mégalomane, et que les studios qui l’ont employé l’ont envoyé tourner des scènes durant le carnaval à la Nouvelle Orléans, afin de le tester. Au retour, les studios auraient été dépités… bien que cette séquence n'ai aucun problème pour s’insérer dans le film. Ensuite, pour le tournage du reste du film, le scénario succinct laissait parait-il une grande part à l’improvisation. Cependant, à mon sens, le film est très bien structuré (ce qui fait sa force, encore de nos jours). La présence au scénario de Terry Southern (Docteur Folamour (1964), Barbarella (1968)), scénariste chevronné donc, ne doit pas y être pour rien. De plus, la présence de Jack Nickolson n'est pas anodine, cet acteur n’est pas étranger aux films de motards Biker films », voir en seconde partie une définition de ce genre), puisqu’il a déjà joué dans Hells Angels On Wheels et Psych-Out (1967, 1968, tous deux de Richard Rush). Enfin, la musique rock’n’roll inondant déjà ce type de film, les studios n’ont donc pas pu être surpris de voir un film de ce type…

Par contre, ils ont pu être horrifiés par la version de quatre heures et demie montée par Dennis Hopper. Afin de réduire le temps du film, le studio envoya Dennis Hopper en vacance au Mexique, et remonta le film pour qu’il ne fasse plus qu’une heure et demi, la version que nous voyons désormais. Pour ancrer son film dans son époque, et parler de ce fait au spectateur, Dennis Hopper avait eu l’idée d’utiliser des musiques qui existaient déjà, plutôt que de demander à en composer de nouvelles : Easy Rider est le premier film à utiliser ce procédé, repris par la suite.

Cependant, avant d’être diffusé, le film a été vu par les pontes du studio et a été considéré comme un film « mal fait », « mal tourné. » Pourquoi ? Parce que le film n’est pas exempt de faux raccords, par exemple. De plus, à Hollywood, la caméra se doit d’être invisible. Mais lorsque dans les contres jours, il y a la diffraction de la lumière sur les lentilles de la caméra, ceci la montre (voir l’image ci-dessous). Mais tout ceci n’effrayera pas le public qui est venu en masse voir le film. Cette fiction qui n’avait couté que 345 000 $ rapportera 1,5M$, soit plus de trois fois plus ! Malgré les réticences du studio, le pari de ramener les spectateurs en salle était gagné.


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Easy Rider fonde le genre du « road movie ».

Des films de routes existaient déjà auparavant, mais on ne les a classifiés dans ce nouveau genre à la lumière de ce film. Sans Easy Rider, des films tels Les voyages de Sullivan (Sullivan’s Travels, Preston Sturges, 1942) ou Voyage à deux (Two for the Road, Stanley Donen, 1966) n’auraient probablement jamais été regroupés. Mais Easy Rider n’est pas non plus le seul film à créer le genre de toutes pièces : chaque genre est créé non pas par un film, mais une constellation de films sur un temps relativement court. Bonnie and Clyde (Arthur Penn) est sortit en 1967, et en 1969, la même année qu’Easy Rider, sort aussi Les gens de la pluie (The rain’s People, F. F. Coppola).

Auparavant, étaient sorti plusieurs « bikers films », film de motards peu diffusés de ce coté ci de l’atlantique : nous connaissons surtout de ce genre le film L’équipée Sauvage (The Wild One, Laslo Benedek, 1953), avec Marlon Brando : il est beaucoup moins isolé que l’on pourrait le croire. Souvent, ces films étaient produits par de petits studios avec peu de budgets : pire qu’une série B, c’était plus de l’ordre de la série Z.

Le synopsis d’Easy Rider diffère sensiblement de celui d’un film de motard traditionnel (par exemple, celui de Hells Angels on Wheels (Richard Rush, 1967) : Un pompiste trouve la vie plus excitante après avoir rejoint le groupes de hors la loi des Hells Angels). On comprend que dans Easy rider, les scénaristes ont ajoutés la magie de l’instant, et la construction d’un « moi », donc la recherche d’une liberté, celle de Wyatt.

Cette recherche est plus profonde que dans Hells Angels on Wheels, qui pour sa part s'apparente plus à une suite de sketches. Ainsi, en plus du voyage physique c’est en fait le voyage intérieur que l’on suit.

A côté de ce genre de biker films, il reprend plusieurs courant de la beat generation. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, beaucoup de personnes ont souhaité revenir à leurs origines. On en retrouve des traces dans la littérature : le plus célèbre roman de Jack Kerouac, Sur la route (On the Road, 1959) a vu son premier jet s’écrire, comme le dit la légende, en trois semaines en 1951, avant une longue réécriture de six à huit ans. Ce texte, paru sur les bancs des librairies Américaines au même moment que le début de la guerre du Vietnam, a contribué à créer cette beat generation. L’ouvrage présente un couple de personnes, Dean Moriarty et Sal Paradise, deux hommes qui errent dans les Etats Unis, paumés dans cette Amérique d’après guerre. Ils font eux aussi (ou, devrais-je dire, en premier) une réelle recherche intérieure, Sal recherchant un père dans le personnage de Dean afin de se donner une nouvelle origine. Easy Rider est contemporaine à la guerre du Vietnam, mais c’est toujours cette « grande et sainte Amérique encore préservée des hommes » décrite par Jack Kerouac que cherchent à trouver Wyatt et Billy, sur fond de Rock’n’roll.

Du fait de ce voyage intérieur, le film est très structuré et devient un film à thèse. Les lieux dans lesquels ils s’arrêtent sont éloquents des différentes étapes de la construction du 'moi' : dans l’ordre, une fois qu’ils sont à moto, ils s’arrêtent chez un cowboy, puis des hippies, passent par la case prison, puis au restaurant dans un petit village, dorment à la belle étoile, vont au bordel, et enfin au carnaval de la Nouvelle Orléans, avant de finir perdant dans un duel sur une route contre un camion.

Déjà une logique apparait : le cowboy vit de la terre, ainsi que les hippies, mais ces derniers ont peur de ne pouvoir survivre à une trop forte sécheresse, alors que le cowboy vivait parfaitement bien, avec une grande progéniture. Le cowboy, c’est la liberté d’une autre époque, et malgré ce qu’il lui dit, Wyatt ne peut rester là. Il y a ensuite chez les Hippies quelque chose qui empêche Billy de s’y sentir bien, et malgré les apparences qu’ils se donnent, ils sont plus « jouissance » que pensant franchement à leur avenir, ce qui rebute aussi Wyatt. Il est normal qu’un tel premier itinéraire ne les mène nulle part ailleurs qu’en prison, où ils rencontrent Georges Hanson (Jack Nicholson), un avocat un peu trouble. Celui-ci leur propose de les rejoindre pour aller avec eux jusqu’à la Nouvelle Orléans, en passant par un bordel de luxe. George doit prendre un casque et il choisi aussi de prendre aussi un pull-over d’étudiant (ou de lycéen) : il propose un moyen de retrouver la liberté, par la jeunesse. Mais le trio fait peur, et finalement, Georges finira tué lorsqu’ils passeront la nuit à la belle étoile, les blessures que Wyatt et Billy accusent étant relativement superficielles. De nouveau en duo, Billy décide d’aller avec Wyatt là où voulait les emmener Georges : le Bordel de luxe. Ce sera au tour de Wyatt de ne pas s’y sentir bien. Après le problème de Billy dans la communauté hippie où l'amour était libre, mais où il ne s’y sentait pas bien, c’est au tour de Wyatt dans ce lieu où l'amour est la règle. En l’occurrence, si Billy jouit sans entraves, son collègue n’accepte pas le principe du bordel, où l’on paie pour le plaisir donc où la notion de liberté de choix (de son partenaire) est nulle. Finalement, les protagonistes sortent au carnaval avec les deux filles. Et c’est là que l’on verra Wyatt s’épanouir de façon définitive. Mais cette liberté, durement gagnée, ne leur servira à rien, car repartant en moto, ils croisent un camion qui les tue de façon totalement gratuite.

Au-delà de la reconstruction d’un moi et de la recherche d’une liberté, toute une réflexion est faite l’intérêt de cette liberté. Le dialogue avec Georges autours de la marijuana qu’ils s’échangent en est révélateur : « on se dit libre, mais dès qu’on croise quelqu’un, [comme eux] qui est vraiment libre, ça fait peur. » Si l’on replace la phrase dans son contexte, on note plus précisément qu’ils font peur aux personnages de sexe masculin, assez âgés. Car dans la scène précédente, un groupe d’étudiantes aurait bien aimé faire un tour sur l’une des deux motos. En l’occurrence, ils ne faisaient pas peur, mais ils attiraient. Au final, faisant peur à ceux qui ont une vie réglée (donc dépositaire de l’ordre – l’un d’eux est shérif) et intrigant des étudiantes tout juste majeures, ils ne font pas peur mais ils fascinent (au sens propre du mot : mélange d’attirance et d’effroi). Et c’est donc par mesure de sécurité qu’on essaie de les éliminer.

Enfin, parmi les symboles qui permettent à Easy Rider de fonder le road movie, il a aussi fallu aux scénaristes d’éliminer une mythologie pour en créer une nouvelle. Le choix fait dans ce film est de se ressourcer pour retrouver un « moi ». Aussi ont-ils choisi de reprendre de façon parodique les symboles d’un autre genre où les personnages se recherchent de façon binaire : le western.

Il me faut ici ouvrir une petite parenthèse sur ce genre défini de façon légèrement différente des deux cotés de l’atlantique, afin de vous faire comprendre plus précisément les raisons de ce choix. De notre coté de l’Atlantique, le Western n’est qu’un genre pris parmi d’autres ; mais du coté étasunien, le western, c’est des légendes qui racontent la création et l’union des états de leur continent. Reprendre de façon parodique le western, c’est reprendre les codes « originels » des Etats Unis pour en présenter d’autres à la place. A la place du massacre d’O.K. Corral, en reprenant la mouvance de la contre-culture, le film propose le trio : sexe, drogue & rock’n’roll.

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Sex, drogue & rock’n’roll. Is that all, folks ?

Vous voulez écrire un road movie, dans la mouvance d’Easy Rider, Les gens de la pluie, Bonnie and Clyde… bref, de la grande époque. Quels en sont les thèmes récurrents ?

- Condition sine qua nonne : il vous faut des grands espaces, avec, au milieu, une route.
- Ensuite, il faut que les protagonistes remplissent deux conditions : ils doivent utiliser des moyens mécaniques pour se déplacer, et être proche de ses derniers. Aux volant d’une moto, ou d’une voiture, mais pourquoi pas aussi d’un bus (non, Speed n’est pas un road movie mais un huis clos) ou d’un train (à condition, toujours, que le protagoniste le dirige directement). Il y a dans ces road movie une notion, beaucoup moins présente de nos jours, d’une jouissance mécanique, ou d’une jouissance de la mécanique. Comme si la liberté était liée à cette mécanique que l’on contrôle. On retrouvera cette interrogation dans le cinéma américain dans des films plus tardifs, tels Terminator et Terminator II, ou encore Robocop, mais l’interrogation a évolué, et sort à ce moment du cadre du road movie. Revenons à nos routards. Parallèlement à ce lien entre l’homme et la machine, il faut que parallèlement au trajet physique effectif, il y ait un voyage intérieur fort vers une liberté ou une rédemption (bien sur, tous les bons films, quelque soit le genre, présentent ce schéma…).
- Le long de la route, le ou les protagonistes doivent rencontrer une diversité de communautés qui lui (leur) permettent de se ressourcer. Au mieux, il faut le/les mettre face à plusieurs niveau de développement de nos sociétés : l’itinérante, le village, la ville…
- Enfin, il faut que l’histoire soit tragique. Comme elle l’est dans les road movies déjà cités, elle l’est aussi pour, par exemple, Thelma et Louise (Ridley Scott, 1991).

Bien sur, les filles, la drogue ou le rock font partie intégrante de cette façon de penser. Mais souvenons nous que cette notion est ancrée dans l’époque des 70s. Déjà dans Thelma et Louise, les thèmes sont abordés de façon différente (outre le fait que ce soit un couple d’héroïnes et non plus d’héros). Ce n’est par exemple plus tout à fait le même rock’n’roll déchainé, et, d’après ce dont je me souviens, les drogues ont disparues.

Pour finir, voici le trailer original (non sous titré) :


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J’ai déjà traité du road movie Les gens de la pluie à l’adresse :

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[1]http://www.planete-biker.com/famous-bike2.php

samedi 2 octobre 2010

Des hommes et des dieux

Des hommes et des dieux

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C'est un film français réalisé par Xavier Beauvois, écrit par X. B. et Etienne Comar, produit par Why Not Production, et ayant reçu le grand prix du jury à Cannes 2010. Ce film a été produit par la même société que celle qui a produit Un prophète qui a reçu le grand prix à Cannes l’an passé, en 2009.

La projection de Des hommes et des Dieux était précédé d’un court métrage composé d’un plan séquence en léger travelling arrière (à Poitiers). Cependant, ce film n’a rien à voir avec le long qui le suit : il raconte l’histoire d’un accouchement raté dans un désert.

Des hommes et des dieux conte l’histoire tragique d’une communauté de moines cisterciens dans l’Algérie des années 1990. Il est basé sur un fait réel qui a eu lieu en 1996, en pleine guerre civile Algérienne : la mort violente de sept moines sur les neuf alors présents dans le monastère de Tibhirine (ou Tibéhirine selon la prononciation). Le film ne montre pas la mort des moines, et ne cherche pas à comprendre les causes de la guerre civile Algérienne : il se concentre sur la vie et surtout leur choix difficile de rester là-bas.

Dans un climat de bouleversements majeur, doivent-ils chercher à préserver leur vie ou leur piété ?

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Le film se concentre donc sur leur quotidien, et sur l’évolution de leur perception quant à leur foi ainsi qu'à l’intérêt de leur travail. Le début du film représente un enjeu de taille, car il a fallu montrer que ces moines étaient parfaitement intégré à la société, et pas du tout en butte vis-à-vis de l'islam.

Xavier Beauvois et Etienne Comar ont choisi de présenter d'abord leur travaux religieux, avant de les plonger dans la vie du village. Le film commence donc par la prière et la lecture. La prière est réalisé de façon totalement anonyme. Les moines nous tournent le dos et chantent ; aucun n'a plus d'importance que les autres. Même le prieur nous tourne le dos. Puis, ils ont encadré la séquence de la lecture par deux personnages : le frère Luc (Michael Lonsdale) et le prieur Christian (Lambert Wilson). Frère Luc s'habille pour sortir au petit mâtin, et le prieur interroge le Coran en le comparant à la règle de Saint Benoit (St Benoit est le fondateur des moines cisterciens), les deux ouvrages trônant à la même enseigne sur le bureau.

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Ceci présenté, les auteurs montrent ensuite le lieu dans lequel est cette communauté : l'Algérie, et plus précisément, Thibirine ou "Thibérine". On suit des personnages du village, oubliant un peu les prêtres : l'une des réflexions, faites après un travelling qui montre la beauté des paysages est de "ne pas s'endormir devant", à un homme qui la regardait (comme nous spectateur). Ceci, avec d'autres petites phrases et présentations, nous montre que les hommes d'ici aiment leur pays et leur village - et en sont fiers (il y a de quoi). Plusieurs groupes d'hommes et de femmes présentés, nous revenons à frère Luc et à son occupation : c'est le médecin de la comunauté cistercienne, qui soigne gratuitement qui en a besoin, sans aucune distinctions d'aucune sorte. En l'occurence, il soigne une jeune fille, et donne, à la fille comme à la mère, de vieilles paires de chaussure fermées qui remplacent celles, trouées, qu'elles possédaient.

Un plan montre un moine sur un tracteur. Une nouvelle séquence montre frère Luc en train de vendre du miel, réalisé à l'abbaye, tout en se renseignant sur des problèmes que rencontre ici une personne qui n'a pas de photographie d'elle (je ne sais plus à quel propos). A la fin de cette séquence, la comunauté des moines est intégré à la plus grande communauté du village, tant et si bien que les moines se retrouvent chez le maire du village (ou l'Imam), et sont invités à un mariage. Ils répondent positivement à l'interrogation, et participent au rituel musulman. A l'issue de ce mariage, les moines sont donc définitivement intégrés.

Les auteurs peuvent alors mettre en place un danger, en montrant que des extrémistes s'attaquent à un groupe de personnes en train de construire une route, et qu'ils tuent seulement ceux qui, dans ce groupe, ne sont pas berbères. De cause à effet, la vie des moines est soudain mise en danger.

L'interrogation du film se fait alors jours : faut-il sauver sa vie en quittant le monastère vers un lieu plus sûr ou faut-il sauver le village en restant dans le monastère et en continuant d'effectuer les tâches diverses (travail de la terre, premiers soins) qui lui permet de survivre ?

C’est ainsi que durant les deux heures de films qui suivent, l’interrogation racinienne peut s’exploiter, se développer entre les différents membres de cette petite communauté : chacun a ses raisons de suivre ou de se mettre en bute face aux obligations de Saint Benoit, exprimés par le prieur. Aucun n’est épargné : tous les moines sont décrits avec chaleur. Le premier jet du scénario reprenait la structure de la série Lost créée par J. J. Abrams, et décrivait par flash-back la vie antérieure de chacun des moines, version qui n’a pas été retenue pour le film. Xavier Beauvois, à qui le scénariste avait confié son histoire, voulait éliminer le coté épique du récit, pour se concentrer sur la tragédie vécue par ces moines.

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Ce fut un succès : depuis deux semaines de diffusion, ce film est à la plus haute place du classement hebdomadaire, le film le plus vu. Il vient d'être détroné par Resident Evil (source France Inter)

Pour finir, voici le trailer :


Bande Annonce Des Hommes et des Dieux de Xavier Beauvois