mercredi 21 décembre 2011

Halloween, la nuit des masques

Halloween, la nuit des masques

 Réalisé par John Carpenter,
Scénario de John Carpenter et Debra Hill


La première séquence du film a déjà été beaucoup étudiée et commentée, rapprochée à d'autres films préexistants comme Psychose (Hitchcock, 1960). Mais au travers de l’étude de ce film – du moins, de la séquence d’ouverture – je veux montrer que Carpenter fait de l’art dit « contemporain ». 

Moi-même issu d’une école d’art, l’EESI de Poitiers (que je déconseille), j’en suis sorti avec deux convictions. La première est celle que m’ont appris les différents professeurs, à savoir que l’art est mort. La seconde, personnelle, est que l’art est bien vivant, quand bien même il représenterait sa propre mort. Il y a des artistes que j’apprécie – Ipoustéguy par exemple – et d’autres moins – comme Kunst. Je continue mon parcours à présent un parcours au sein de la faculté de Poitiers. Dans un des séminaires que je suis, nous discutons sur les figures de la disjonction. Pour le néophyte, la disjonction apparait le plus clairement dans ce qu’on appelle communément le faux raccord.

Lors de l’âge d’or d’Hollywood, la disjonction était proscrite, car le cinéma se voulait démonstratif : ce n’est pas au spectateur de penser, mais au cinéma de lui montrer comment tel personnage va du point A au point B, sans que sa traversée ne soit ponctué de quelques incompréhensions. Non que les conditions de tournages soient telles qu’il n’y avait pas de faux raccords à l’époque – la disjonction a toujours existé. Mais ces faux raccords étaient discrets.

À partir de la fin de la décennie 1960, la disjonction a connu un retour en force. A bout de souffle, Jean Luc Godard, 1968 en est un exemple clair. Mais aussi des films américains comme le méconnu Ne vous retournez pas (Don’t look Now, Nicholas Roeg, 1973 avec le jeu sur le rouge lors de l'ouverture du film http://youtu.be/NOC2jxn0re0) ou autres. À la même époque, les Etats Unis virent l’arrivée d’un courant intellectuel français (européen) : la déconstruction. C’est à cette époque que Barthes, Deleuze, Derrida et consorts ont modifié la pensée logique (notamment à partir des théories ‘‘extrémistes’’ de Nietches[1]). C’était l’arrivée du modernisme, qui voulait une mise à plat, une table rase de la production de la pensée : « détruisons ce qui a précédé pour construire quelque chose de nouveau (et de mieux). »

Puis, autours des années 1990 est apparu un autre courant, intitulé pour sa part le post modernisme, avec ses penseurs. Il ne s’agit plus de penser une destruction de ce qui précède, mais une réutilisation de ce qui précède. Par exemple, Tarantino utilise le procédé d’écriture et de montage de Bande à part de Godard, pour écrire Pulp Fiction. L’exemple n’est bien sur pas isolé, Brian de Palma n’arrêtant pas de retourner la fameuse scène de la douche de Psychose d’Alfred Hitchcock, quand Gus Van Sant va jusqu’à retourner un remake à l’identique (enfin, presque) dudit film.

Je ne me considère pas comme un post-moderne, mais ce mouvement influe sur moi comme sur tous, puisqu’il est de notre époque. En outre, j’ignore si Carpenter se considérait comme un moderne. Mais Halloween étant réalisé en 1985, il est placé obligatoirement dans cette mouvance. Ce petit historique m’a aussi servi pour expliquer que mes professeurs d’art, à l’EESI, restent finalement dans une perspective moderniste, et non post-moderniste.

Car, en art, du moins dans ces cours – et, puisque je le lis ailleurs, dans la majorité des écoles d’arts, on nous apprend non seulement à ne pas faire (après tout, l’art est mort, déconstruisons seulement) mais aussi à défendre cette anti-création. Le mouvement moderniste est devenu fort pour ça. Les textes de Buren (artiste ayant fait les colonnes éponyme place du palais royal à Paris à la fin des années 60) comme celui du catalogue d’exposition de la biennale de Lyon 2011 retranscrite par le stroumpf émergeant (http://www.schtroumpf-emergent.com/blog/2011/09/21/la-chronique-n%c2%b018/) en sont éloquents. Dans mes cours d’art, ce système de pensée, utilisant une mine de mots obscurs et de langue de bois, etc. a été nommé par certain camarades du « techno-blabla ».

Or, Carpenter propose à son film Halloween une puissante alternative. Voici comment le film commence :
 

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image 13
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Le premier plan est subjectif :

La caméra s’approche d’une maison de banlieue américaine (image 1). Deux formes sont en train de s’embrasser derrière la porte (image 2). Ces deux êtres disparaissent ensuite par une porte. La caméra contourne la maison, et s’arrête devant une fenêtre, de laquelle elle observe le salon : le garçon et la fille (16-17ans) sont bien visibles, à nouveau en train de s’embrasser sur le divan.

LE GARÇON
On est tout seul ?

LA FILLE
Michel doit traîner quelque part

Le garçon trouve et chausse un masque de clown et l’embrasse à nouveau (image 3). Elle rit, puis se lève. Elle glisse un mot au garçon celui-ci va couper la lumière. La fille, suivie du garçon, passe dans le couloir et prend l’escalier.

La caméra s’éloigne de cette fenêtre et revient devant la maison (image 4). Au premier étage, derrière les rideaux d’une fenêtre, une lumière allumée s’éteint (image 5). A ce moment, la bande son joue trois notes aiguës exprimant une incertitude. L’écho de la dernière de ces notes continue ensuite, pendant que la caméra fait le tour de la maison et entre dans la maison par l’arrière. A ce moment, en sous face, un thème musical commence à s’établir : une note synthétique aiguë et longue sur laquelle est plaquée trois accords bref. Les accords passent d’harmonique à disharmonique, tout en passant du mode majeur au mode mineur. La caméra est dans une cuisine. Un bras (celui de la personne subjectivée) ouvre un tiroir et prend un couteau. Le bras et le couteau pris sont flous. Mais tout de suite, le couteau est tenu dans sa forme agressive (image 6)… avant de disparaître au dessus de l’écran. La salle à manger est vide, comme sans vie : quatre chaises autours de la table avec nappe et bougies éteinte, l’ombre du lustre sur un mur. La caméra rentre dans cette pièce, puis entre dans le salon, où sont visible le meuble supportant une télévision éteinte, une pendule et un rocking chair. La caméra entre avec prudence dans le couloir.

LE GARÇON (off)
Écoute Susan il est tard, il faut que je file

SUSAN (la fille) (off)
Tu m’appelles demain ?

LE GARÇON (finissant de remettre son T-shirt, image 7)
Oui d’accord.

SUSAN (off)
Promis ?

LE GARÇON
Oui.

Il finit de descendre les marches et sort de la maison, tandis que la caméra recule – se cache – dans le salon. À nouveau, la caméra sort du salon et monte les marches de l’escalier. La bande son, comme bloquée sur un accord aigu depuis tout à l’heure, se met à augmenter. Alors qu’elle est au milieu de l’escalier, l’horloge vient frapper ses douze coups (image 8).

A l’étage, le masque de clown est à l’entrée d’une salle dont la porte est ouverte. Au-delà, des vêtements. Le même bras qui avait pris le couteau tout à l’heure se saisit du masque (image 9) et le place sur la caméra (image 10). Le spectateur n’a désormais plus qu’une vision fragmentaire de la scène. Le son de l’accord diminue, sans s’arrêter pour autant.

La caméra observe : les vêtements vont jusqu’à un lit bordé : l’acte n’a pas été fait ici. Mais il y a une porte ouverte à coté. Lorsque nous voyons Susan, nue, en train de se peigner, devant son miroir, la bande son présente un autre accord qui relance l’écho (image 11).

La caméra avance, mais avant de s’occuper directement de Susan (le spectateur que j’étais alors pensait ça) il jette un œil sur le lit défait – preuve que l'acte a été consommé. Dès lors, plus rien n’empêche la caméra de tuer Susan. Elle se retourne…

SUSAN
Michel !

La bande son envoie une note grave sans pour autant enlever l’accord aigu.

Le personnage subjectivé est donc une connaissance de Susan, un membre proche puisque de sa famille (ce qui justifie d’autant plus le meurtre, car elle n’est pas majeure, etc.) Elle commence par regarder où se placent ses coups de couteau : s’assurer qu’elle est bien en train de tuer Susan. Puis, son regard quitte Susan pour ne plus regarder que l’origine des coups de couteau qu’elle envoie, soit uniquement lorsque son bras revient à la verticale avant de redescendre. Une mise en abîme de la violence : le spectateur, au travers de ce masque, ne regarde plus que sa propre violence. Ce qui peut aussi être interprété par : le meurtrier cherche à voir au travers de son acte le spectateur qui le pousse inconsciemment à agir (sans quoi il n’y aurait pas de film).

Sa petite affaire terminée, Susan tombée sur le sol, les accords brefs aigus reprennent, et Michel, toujours subjectivé, prend la fuite (image 12). Mais au lieu de revenir en arrière pour reprendre le chemin par lequel il est venu, il semble s’engager dans une aventure, en prenant une nouvelle porte, puis un autre, avant de se retrouver sur le palier et redescendre au rez de chaussée, avant de quitter la maison.

Une voiture arrive, s’arrête, et un couple d’âge mur en sort. Le meurtrier s’avance vers eux, et eux s’avancent vers le meurtrier.

LE PERE
Michel ?

Second plan :

Plan large sur la main du père qui enlève le masque de son fils (image 13).
Travelling arrière assez rapide finissant par une contre plongée encadrant la gloire américaine : un pavillon de banlieue, une voiture, deux parents et un fils épanoui (il est déguisé en clown), à la différence que le fils était sous le masque, et qu’il a donc à la main un couteau ensanglanté (image 14).

Fondu au noir.


Carpenter a placé cette séquence au début de son film. Pourquoi ? Elle donne certes des indications sur les antécédents du futur tueur, mais pas seulement. Ici, il me faut citer Pierrot le fou :


                        PIERROT
            Je me suis toujours demandé ce qu’on cherchait au cinéma.

                        SAMUEL FULLER
            Love, hate, violence, death… in one word, emotion.
            (Amour, haine, violence, mort… en un mot, de l’émotion.)


Nous allons au cinéma pour ressentir ce qui est défini par Samuel Fuller. Carpenter, commençant son film de cette façon, propose tout cela, avec cependant quelque chose de supplémentaire, induit par le plan subjectif : c’est finalement le spectateur qui « voit » l’amour, et qui est forcé d’en ressentir de la haine, allant jusqu’à tuer Susan.

Mais Carpenter ne s’arrête pas là, car il fait un contre-champ : cet enfant que le public voit, ce n’est pas encore le ‘Michel’, assassin de sa propre sœur, mais surtout, de par le démasquage, un miroir, à vif, du public. Tant que l’enfant avait le masque, il n’y avait pas de mise en péril. Mais la question n’est plus la même dès lors que l’on découvre le visage angélique de l’enfant (petite moue sympathique, regard désintéressé, cheveux blonds). Car au travers de ce visage, enfin dévoilé, le public projette toute sorte de causes qui l’ont poussé à commettre cet acte horrible. Et l’on ne voit plus le visage.

Mais aussi parce que Carpenter ne nous laisse pas le loisir de l’observer. Tout de suite, par le travelling arrière, il ne demande plus à son public de comprendre pourquoi ce jeune enfant a fait une telle action, mais il lui propose de comprendre pourquoi, dans cet environnement, le petit a-t-il été poussé à commettre l’irréparable.


Avant de proposer une conclusion sur l’œuvre d’art qu’aurait réalisé Carpenter, il me faut faire un passage par Pascal Bonitzer dans son livre Le champ aveugle, compilation remaniée de ses articles interrogeant le cinéma dans ses rapports avec la « réalité », paru dans les Cahiers du cinéma. Un article intitulé simplement ‘le suspense Hitchcockien’ exprime ce que Carpenter a fait de façon si personnelle (et si grandiose).

Tout part d’une tâche. Une tâche qui s’étend sur la pellicule. Une tâche qui s’attaque de façon mécanique aux personnages[2]. Cette tâche peut prendre plusieurs formes. Dans certain films, ce sera une action délibérée du monteur, qui organisera (désorganisera) le montage logique de la séquence[3]. Dans d’autres, se sera une vraie tâche.

Pour reprendre Hitchcock, afin d’expliciter l’article, il suffit de prendre la fameuse scène de l’avion de la mort aux trousses (North by Northwest, Hitchcock, 1959). Cary Grant attend, sur une route dans un désert de champs ensoleillés, celui qu’il pense être Mr. Kaplan. Soudain, un avion apparait et se rapproche de lui. De façon symbolique, c’est la mort qui se rapproche du protagoniste de cette histoire. Mais si l’on regarde le montage d’une façon formelle, c’est avant tout un système de champ/contre champ, entre le désert avec l’avion et le visage de Cary Grant. L’avion, d’abord un point, finit par prendre tout l’espace du cadre. La tâche, d’abord un point, finit par envahir la pellicule. L’objectif de l’avion – celui de la tâche – est destructeur vis-à-vis du contre champ, vis-à-vis de Cary Grant.

Vous pouvez voir cette séquence à cette adresse : http://youtu.be/g458w2X9uHc

Il en va de même dans Halloween. Ce n’est simplement pas le même type de tâche. Carpenter a décidé que ce serait le public – du moins ceux qui voient son film. Ceux qui viennent voir Halloween veulent de l’émotion ? De l’amour, de la haine, de la violence et de la mort ? Il sert ce public en lui faisant endosser le rôle d’un des acteurs.

Dès lors, l’art est mort, puisqu’il n’y a plus de distance entre le spectateur et le produit de l’œuvre. Carpenter est un artiste moderne. La suite du film développe son propos en proposant Jamie Lee Curtis qui veut être épiée (plaisir coupable) mais qui veut aussi détruire cette pulsion.




[1] French Theory, François Cusset, sur l'histoire de la théorie Française aux Etats-Unis dans les années 1960-1970.
[2] Revoir à ce propos le début de Ne te retourne pas, cité en début d’article, qui représente clairement ce procédé.
[3] Voir à ce propos le travail "extrémiste" de Peter Tscherkassky, http://vimeo.com/23473451.

mercredi 14 décembre 2011

Bach et bémols

Bach et bémols





Bach et bémols est un scénario achevé en décembre 2011.

L'histoire raconte comment Julie, une jeune flûtiste prometteuse, ménage la chèvre et le choux pour comprendre et interpréter un air composé par Bach, tout en devant obtenir son baccalauréat.

Le texte reste sous droits
(c)tomthomaskrebs

samedi 5 novembre 2011

Apocalypse Now


Scénario et réalisation : Francis Ford Coppola

Après avoir cherché ce qui caractérisait The Rain People du même Francis Ford Coppola, je vous présente mon étude sur Apocalypse Now.

Description du corpus

Après une préparation qui a duré plus de trois ans, et un tournage mouvementé, Francis Ford Coppola sort sur les écran Apocalypse Now, le 15 aout 1979 aux États Unis, film qui a rapporté plus de 78 millions

de dollars sur ce territoire. Cette fiction se déroule lors de la guerre du Vietnam : le capitaine Willard, interprété par Martin Sheen, doit remonter le fleuve au-delà de la frontière cambodgienne pour retirer son commandement au colonel Kurtz, interprété par Marlon Brando.

Initialement projeté en work-in-progress au 32ème festival de Cannes, avec deux fins différentes, ce film est ensuite sorti sur deux formats de pellicule différent. Le premier, en 70mm, présente le même film que le second format, en 35mm. Une différence subsiste cependant : la version du film en 70mm n'a pas de générique. Après une belle carrière de plus de vingt ans et plusieurs nouvelles sorties en salle, cette réalisation a connu une réédition en 2001 sous le titre Apocalypse Now Redux, qui ajoute 53 minutes au montage initial afin de peaufiner l'ambiance de cette Odyssée, et affiner les thèmes développés.

Sujet et problématique
Notre étude s'intéresse au film et aux échos des ses thématiques dans le cadre des années 70, tant dans le traitement des personnages, dans la matière cinématographique apportée que les réponses proposées. Il est donc exclu de prendre en compte toute versions ultérieures.
Dans le premier montage visible sur les écrans, les spectateurs de ces années ont retrouvé toute une cosmogonie créée par leurs interrogations profondes. Si cette fiction y apporte des réponses, ces dernières sont presque définitives : suite à la parution de ce film, il y eut un tournant non seulement dans la représentation de la guerre au cinéma, mais aussi dans la conception même du ciné-spectacle. Notre hypothèse est que ce film clôt les interrogations cinématographique qui eurent lieu durant la décennie précédente.

Plan
Afin de comprendre de quelle façon ces questions n'ont plus lieux d'être ensuite, ou alors sérieusement revues et corrigée, il faut commencer par étudier les personnages et leurs rapports au sein de cette œuvre, avant d'observer l'objet filmique qui en est induit. Enfin, nous serons à même de nous demander quels sont les questions thématiques auxquelles Coppola a définitivement répondu.

I - Les personnages
Le premier intérêt d'un film, ou de toute autre œuvre dramatique, c'est le conflit. Ce conflit se présente ici comme une opposition entre le capitaine Willard et... le colonel Kurtz. Or, Kurtz n'apparaît qu'à l'extrême fin de la fiction. Pendant son voyage, Willard se demande en fait, comment cet homme, officier exemplaire, est devenu fou.

Willard
C'est un protagoniste sans antagonistes. Soûlé dans sa chambre d'hôtel à Saïgon, il se refait sans cesse la guerre du Vietnam. Ce qui a précédé chronologiquement le film a détruit son identité aussi le capitaine casse-t-il une psyché en s'entrainant au combat rapproché. Depuis il a, au propre comme au figuré, du sang sur les mains. Deux soldats viennent le voir pour le tirer de son ébriété permanente, afin de le conduire à Nha Trang, de façon à ce qu'il aie sa nouvelle mission : tuer Kurtz. Cette mission lui permet de se construire une nouvelle identité : c'est le sujet du film, et le spectateur suit cette construction.
Ce type de personnage n'est pas isolé dans la filmographie de la décennie du Nouvel Hollywood, quel que soit le genre[1] Depuis Easy Rider[2] tourné dix ans plus tôt, le public apprécie ce type de héros qui, comme lui, est désemparé.
Cependant, l'acteur tenant le rôle de Willard ne fut pas simple à trouver. Au départ, Coppola pensait à Steve McQueen, mais leur vision du personnage différait. Pour l'acteur, c'était un homme sûr de lui, qui savait tout et qui faisait le malin. Puis le choix du réalisateur s'est porté sur Harvey Keitel, mais la première semaine de tournage qu'ils ont fait ensemble n'a pas convenu : le public n'aurait pas apprécié de voir ce comédien ne rien faire durant tout le film. Enfin, Martin Sheen a pris le relais, mais il a fallu, au bout d'une nouvelle semaine, faire un ajustement supplémentaire pour qu'il entre mieux dans le personnage... et que les spectateurs ne le rejettent pas[3]. Ainsi, le public avait beau être habitué à un type de héros, il faut noter qu'il est aussi sensible à des personnalités. Steve McQueen était une star, mais surtout, son visage rond et marqué d'une bonhommie apparente, n'aurait jamais convenu à cet être déchiré qu'est Willard.
Le personnage et l'acteur trouvé, Coppola peut le construire, au travers d'une suite d'absurdités : les caméramans qui se présentent pour qu'on ne les regarde pas, l'engrenage de violence provoqué par les hélicoptères pour des rouleaux de 2m qui s'aplatissent à cause du napalm, une forêt détruite à cause d'un tigre... Cette suite d'anecdote conduit intérieurement Willard à Kurtz.
Cette trajectoire intérieure est marquée, à l'extérieur, par un isolement progressif[4]. Plus il progresse en amont du fleuve, moins il comprend. Plus la mort s'empare des personnes qui l'entourent, et plus elle perd de son sens. Ceci permet aux ténèbres de s'avancer tant et si bien, que la tête décapitée de Chef, qui a une allure christique, fait penser, au-delà de la mort d'un homme, à la fin d'une religion, à la fin d'une croyance, à la fin d'une foi. Tout ce en quoi il croyait ayant disparu, Willard peut alors monter dans le temple -- cette ascension étant autant physique que mentale -- pour devenir un double de Kurtz.

Le colonel Kurtz commence par être présenté au spectateur comme un fou. Puis, en écoutant le premier enregistrement diffusé par la bande sonore, il se présente lui-même comme tel. Sa voix et son phrasé travaillés vont eux aussi dans ce sens. Puis, le deuxième enregistrement est mis à disposition de Willard : Kurtz apparaît soudain beaucoup plus prévoyant, plus sceptique, donc, plus du tout fou.
" Nous devons les tuer. Nous devons les incinérer. Porcs après porcs. Vache après vache. Village après village, armée après armée... et ils me traitent d'assassin. Comment appelle-t-on ça, quand les assassins accusent un assassin. Ils mentent. Ils mentent et nous devons nous montrer cléments envers ceux qui mentent[5]. "
Le phrasé reste le même. Les mots qu'il prononce sont recherché, même s'il en avale la plupart. Le scepticisme se lit dans sa position, où il se met sur le même pied que l'état lui-même. Cette tirade ne cherche pas à provoquer l'esprit de l'américain, car ce dernier sait que la guerre du Vietnam est plus proche d'une guerre impérialiste que d'une guerre défensive. Kurtz reste néanmoins égocentrique ce plaçant au même niveau que l'état.
Pourtant, il n'y a pas de " théorie du complot " dans ce film, comme l'aurait put être les trois jours du condor par exemple. On retrouve pourtant une trame presque équivalente : un officier se détache de l'armée pour faire en secret ce qui ne doit pas être connu du pays tout en le servant. Mais dans le cas de Apocalypse Now, c'est de son propre chef que le colonel s'est détaché, pensant par là même mieux aider son pays. Bien que le ‘conspirationisme’ soit une mouvance répandue aux États Unis, donc que le film de conspiration, comme par exemple Conversation Secrètes, y soit apprécié, on ne peut affirmer que ce film puise totalement dans ce genre, bien qu'il en respecte les règles principales, qui sont un héros face à un ennemi puissant, le héros faisant l'expérience d'un monde incertain pour trouver cet ennemi.
" Il était près. Il était tout près. Je ne  le voyais pas encore, mais je sentais sa présence. Comme si le bateau était attiré vers l'amont, là où l'eau de la rivière retournait à la jungle. Quoiqu'il arrive, rien ne se passerait comme ils l'avaient souhaité à Nha Trang[6]. "

Ainsi que l'a édicté ce genre au fil des films, l'ennemi peut se trouver partout, bien qu'au fur et à mesure, Willard arrive à lui donner un contour et une personnalité. L'ennemi se trouve partout, ainsi qu'en témoigneront ensuite les jets de flèches, tirés de la jungle. Durant cette fiction, que représente alors ce " partout " ? C'est la nature qui enserre le fleuve.

La nature Coppola en a fait un personnage dans ce film. Un personnage puissant, tout puissant, qui avale tout. Le pond de Do Lung ;  ce B-52 dont il ne reste plus que la queue ; Willard lui-même, lorsqu'il est baigné contre son gré dans la boue, alors qu'il est dans le campement de Kurtz. A cause de sa force, ce nouveau personnage, dérange la logique dramatique.
Finalement, pour se reconstruire, le protagoniste doit affronter la nature pervertie par les avancées mécaniques humaine (le patrouilleur, les armes à feu, les hélicoptères...). Il doit vaincre le plus fidèle représentant de cette nature, celui qui replace l'homme à son niveau le plus primitif en se situant d'abord de façon mégalomane au même niveau que ceux qui organisent l'armée -- ou en les descendant à son niveau -- et en montrant les travers générés par cette hiérarchisation arbitraire --  par exemple des jeunes formés à tuer de sang froid, mais qui n'ont pas le droit d'écrire d'obscénités sur leur avions. Coppola a expliqué sa pensée lors d'une rencontre préparatoire avec Marlon Brando[7] :
" L'ennemi était présent, mais je l'ai éliminé parce que j'avais peur d'ouvrir une boite de Pandore que je n'aurais pas pu refermer. Je veux faire fusionner la présence de l'ennemi avec celle de la jungle... On voit flotter tout l'arrière d'un B-52, avalé par la rivière. [le bateau de Willard] s'en approche. C'est comme si la rivière avalait tout. Ça résume tout. La jungle, les forces naturelles de la Terre mangeront tout ce dont nous devons nous débarrasser. "

Première conclusion : L'ennemi contre lequel se bat Willard n'est donc pas seulement puissant, il est tout puissant. Nous avons vu que la définition de Willard devait prendre en compte le rapport acteur/personnage pour se former, en prenant en compte le faciès. Une fois cette relation équilibrée, cette fiction propose une opposition entre deux membres de l'armée, mais nous avons montré que la force -- et la déification finale du colonel -- tient en ce qu'il a partie liée avec quelque chose qui le dépasse : la nature. Ainsi, même s'il a coupé les liens avec l'armée de son propre chef, rompant ici avec le traditionnel film de conspiration, Apocalypse Now en retrouve néanmoins les codes en créant un lien fort entre Kurtz et la nature.

II - La machine cinéma
Dans son livre sur le cinéma américain des années 70, Jean-Baptiste Thoret explique que durant toute cette décennie, le cinéma c'est filmé, ce présentant comme un médium, en rendant visible les mécanisme de sa fabrication[8]. C'est le cas de Apocalypse Now. C'est le cas d'Apocalypse Now, mais avec une ambition démesurée.

La définition du film :



La première image, nous indique que nous sommes dans un ciné-théâtre. La rangée de palmiers, filmée de façon frontale, est comme un décor au fond d'une scène. Les volutes de fumée colorée nous donnent une impression de faux inévitable. Puis, Coppola nous propose de passer au travers de ce décor, en incinérant ce paysage paradisiaque au napalm. Suite à cette première présentation, sur la musique des Doors This is the end, le montage s'enchaîne par de longs fondu enchainés. Le jeu qui se crée alors travaille non seulement sur les lieux, mais aussi sur la grosseur des plans : un plan large sur les palmiers est suivit d'un gros plan sur le visage de Martin Sheen, dans un faux-raccord monumental, puisque ce dernier, filmé sens dessus-dessous, n'est ni dans le même lieu, ni dans le même temps. Puis un contre-champ vision est raccord sur le ventilateur au plafond, et à nouveau, un retour sur la jungle enflammée. Nous sommes au cinéma et il n'y a que ce médium qui puisse se permettre d'additionner deux à trois plans en même temps. La réalité (telle que nous la connaissons au théâtre ou à l'opéra), ne propose pas cette possibilité de fondu enchainé.



Après cette introduction, le film débute, tourné de manière très traditionnelle, jusqu'à ce que Willard ait sa mission. Ces premières scènes ont certes une couleur générale, dans les verts sombre chez Willard, dans les ocres sombres à la ComSec Intelligence, qui annoncent quelle vont-être les couleurs développées par la suite, le vert surréaliste de la jungle et l'ocre éclatant final, mais leur neutralité ne crée pas de lieux expressif par rapport au réel travail mené par la suite. Après ces scènes mornes, cadrées en intérieur et en plan serré, plus théâtrales que cinématographiques, Coppola offre de vrais plans larges, longs et visuellement recherchés. Les supérieurs de l'armée américaine à Nha Trang ne connaissent pas la réalité, nous dit-il en substance.

La définition de la télévision :
Suite à cette opposition entre le théâtre et le cinéma, il décompose le jeu de l'acteur, premier procédé critique de la fabrication d'un film. Le bateau accoste sur une plage où la cavalerie aéroportée, AirCav, fait une opération. Willard et son équipe croisent  le tournage d'un reportage télé pour NBC :

" C'est pour la télévision. Ne regardez pas la caméra. Ne regardez pas la caméra. Avancez, faites semblant de vous battre. C'est pour la télé, ne vous arrêtez pas allez y, continuez[9]… "

Le réalisateur donne deux indications. La première est une règle du cinéma qui veut que la caméra se fonde dans le réel sans le perturber afin d'être vraiment dans le genre documentaire. La seconde, corolaire à la première, est de donner aux soldats leur propre rôle. Mais ainsi prévenus, les soldats se jouent, donc n'offrent plus ce réalisme recherché, seulement des attitudes et postures habituelles, vues et revues, de déplacements de soldats au sol. Par ce biais, Coppola qui venait de démontrer la toute puissance du cinéma sur le théâtre, démontre à présent sa toute puissance par rapport à la télé.

Le rêve de l'opéra :
Coppola possède une lumière qui fait entrer le spectateur dans une Réalité particulière, entre logique et cauchemar. Mais ce n'est pas par la lumière que Coppola atteint l'essentiel de cet effet cauchemardesque, mais par le travail sur le son.

" Dès le départ, Coppola insiste sur le fait qu'il souhaite que le son de Apocalypse Now soit spectaculaire. Il est très attiré par la technologie multipistes, et les travaux sur la réduction du bruit que Ray Dolby met au point à San Fransisco.

" A l'époque, le traitement sonore d'un film reste assez conventionnel, en effet, surtout comparé à celui de l'industrie du disque qui a fait un bond en avant considérable dans le sillage de la révolution rock'n'roll. Pour Murch, Beggs, la technologie qu'ils souhaitent employer n'existe pas encore.[10] "

Apocalypse now sera le premier film réalisé en Dolby. Grâce à ce procédé, les monteurs son peuvent immerger totalement le spectateur : le film s'ouvre sur un hélicoptère qui tourne autours de lui dans la salle avant de passer sur l'écran, laissant place à un début de musique. Pour que cet hélicoptère tourne autours de nous, il fallait " ni plus ni moins qu'une bande son pentaphonique ", (ce qui deviendra le 5.1 par la suite).

Si l'on observe la structure du montage de cette ouverture de film, on comprend la volonté de Coppola de faire de cette fiction un "opéra moderne". Durant le clip de la chanson des Doors, on apprend rien sur les actions et les personnages. L'action n'est pas commencée, par contre, les différentes thématiques qui vont être développées par la suite sont posées, toujours comme un opéra. Afin de renforcer cette idée, Coppola n'a pas placé de générique sur la version 70mm, tout en faisant distribuer à l'entrée des salles un livret présentant l'équipe technique[11]. Cette ouverture présentant un instant le visage de Martin Sheen en parallèle d'une statue que l'on ne verra qu'à la fin a enclenché plusieurs polémiques quant à l'état du protagoniste au début du film : le débat principal est que ce film est un souvenir. Mais comme ce n'est qu'une thématique qui est posée, parmi d'autre, ce point précis aurait du mal à entrer en considération. Néanmoins, on ne peut nier, avec la voix-off de Willard qui raconte au passé un évènement présent voir futur, qu'il participe à une "mort" du récit chronologique classique.

Seconde Conclusion :
Ainsi, le récit passé prévoyant des éléments futurs montre que le film se repose en fait sur une double trame narrative : une trame linéaire et circulaire. Linéaire jusqu'à la mort de Kurtz, circulaire ou plutôt mythique dans son déroulement. Mais à chacune des premières séquences, Coppola a placé son film dans un cadre qui lui permettait de se placer en vis-à-vis des autres média. L'opéra en ressort vainqueur, et c'est par l'immersion induite qu'Apocalypse Now sera un grand film, au travers des questions que pose sa mise en scène.

III - La mise en scène en question

Le mythe : Coppola voulait réaliser un film philosophique sur les pulsions les plus basses de l'homme, et par ces procédés narratifs et filmiques, elles sont ainsi explorées, sans que le public n'ait de chance d'y réchapper, de par son immersion. Au sortir du film - surtout au sortir d'une séance commerciale, soit projeté avec une pellicule 35mm - le spectateur n'a pourtant pas élucidé tout le film, certains éléments restent flous, notamment à cause des circonstances de la pyrotechnie développée durant le générique. Cette fin n'est pas une éradication de l'Homme, mais simplement une mort, pour que celui ci puisse renaître.

Une séquence montre parfaitement la transition entre le temps linéaire et le temps cyclique : il s'agit de celle où, après être passé près d'un cimetière traditionnel, Willard détruit les textes concernant Kurtz en les jetant à l'eau... tout ceci avant que le patrouilleur n'entre dans son repaire. Le vert de la flore n'est plus exactement le même, et l'absence de soleil insiste sur cette perte de temporalité.

Mettant en place cette structure, Coppola continue sur des sujets de plus grande ampleur, à propos de l'enlisement américain, dont nous allons observer trois exemples successifs : de l'américain rêvé durant la séquence des hélicoptères à l'idéologie américaine inutile dans le retranchement de Kurtz, en s'arrêtant sur la séquence sur le pond de Do Lung qui présente la perception américaine de la guerre.



le rêve Américain : La séquence des hélicoptères fut l'une des premières séquences pensées par les co-scénaristes. Dès la première version d'un scénario qui en comptera plus de dix, Wagner y sera adjoint. En débutant l'adaptation du texte de Conrad, Au cœur des ténèbres[12]. Millius souhaitait écrire un film qui croise la guerre du Vietnam et l'Odyssée homérique. Kilgore, initialement Kharnage[13], aurait été l'équivalent moderne du cyclope qu'il faut aveugler pour décider[14]. Il représente le rêve américain dans une guerre Californienne. Il est celui qui rassure, le chef de la cavalerie. Son armée représente elle aussi les États Unis, aussi doit-elle se faire entendre. D'où le choix de Wagner qui a poussé Coppola à chorégraphier extrêmement la séquence. Dans l'hélicoptère, il explique ce qu'il va se passer, avant de lancer "la guerre psychologique[15]". Les américains savent se faire entendre. Cette bataille est la seule du film a avoir un contre-champ dans le village.

Ces champs et contre-champs montrent ce à quoi se résume la guerre du Vietnam : une arrivée fracassante pensant tout de suite à un départ (le surf) alors que le village n'a pas fini d'être balayé. Mais ce n'est que de la mise en scène, car les rouleaux pour lesquels ils étaient venus s'effondrent. De plus, ainsi que le démontre cette main anonyme posée sur une bombe, les "américains" ont besoin de croire en leur matériel militaire.

Le pond de Do Lung : Cette croyance dégénère lorsque le patrouilleur se retrouve à la dernière avant-garde américaine, à Do Lung. Le commandant de cette section a disparu, et le rêve s'est transformé en cauchemar. Les soldats ne sont plus tenus que par la peur et l'envie de partir, de quitter cette guerre, de quitter ce lieu. Il n'y a plus de commandement, aussi rien ne reste d'autre que la loi de la jungle, ce qui est démontré lorsque l'on voit l'arme de "la fumette[16]'', un lance roquette décoré en tigre.

Coppola continue de montrer et démonter sa mise en scène, par le truchement d'un élément du décor. Willard passe sous une guirlande de lampes, reliée à d'autre guirlandes, disposées de telle sorte que l'on peut y voir la structure d'un chapiteau de cirque. Afin d'insister sur le côté achevé d'une hypothétique fête foraine, l'air musical fait penser à de l'accordéon, mais retravaillé synthétiquement. Les grands quartiers de toile de ce cirque ont disparu : il n'y a plus qu'un décor hallucinant d'explosions sombres et mouvantes.



Le retranchement : Si Kilgore incarne, comme nous venons de le voir, "l'américain rêvé de la guerre du Vietnam", Kurtz représente "l'idéal américain dans la guerre du Vietnam" à un endroit où cette idéologie est complètement absurde[17]. Ceci transforme peu à peu Willard en un observateur de l'Amérique qui s'entête, car il faut qu'elle meure pour renaître de ses cendres. C'est aussi pour ça qu'à la toute fin du film, une fois Kurtz éliminé de façon rituelle (la mort du caribou n'étant là que pour appuyer cette interprétation) Willard a se pouvoir sur un peuple sans défense. Cette fin peut à elle seule expliquer un des plus gros succès de la décennie suivante : on peut voir en Rambo[18] un Willard de retour au pays.

Kurtz : La relation qu'entretiennent durant le film le protagoniste et son antagoniste se détache en deux parties distinctes. Dans la première, Kurtz n'est présent que par le truchement de sa voix ou de photographies et de textes officiels. Willard se demande qui est cet officier, et le fantasme. Dans la seconde, qui prend place au campement, la confrontation est en vis-à-vis. Après les pistes laissées par le colonel dans la première partie, nous le voyons, chauve, tel un bonze, qui donne des indications. Alors que Willard veut lui dire qu'il est chargé d'une mission secrète, Kurtz lui répond : "secrète elle ne l'est plus[19]." Ce bonze sait tout : tout ce qu'a fait et doit faire Willard. S'il avait été scénariste, il se serait inspiré de sa vie pour le créer, et c'est ce qui se passe : tous deux sont né dans l'Ohio et ont grandi à plus ou moins grande distance de la rivière éponyme. Les questions qu'il pose tiennent aussi du travail du scénariste : se libérer de l'opinion d'autrui, et même de sa propre opinion[20] permet de pouvoir s'analyser et travailler au mieux. Les affirmations qu'il apportera relèvent du travail du metteur en scène.

Ce personnage, comme nous l'avons déjà évoqué, déclenche des actions de guérilla. Il met des actions en scène, quand Willard est mis en scène par d'autres. Ce rôle est renforcé lorsque, filmé dans une semi-obscurité, à contre jour, il "révèle" à Willard ce qu'il est, "un commis que des épiciers ont envoyés encaisser un impayé[21]." Kurtz reste metteur en scène, et metteur en scène de sa propre mort.... de son propre suicide.

Troisième Conclusion : On peut se demander si c'est lui ou Coppola qui ont pensé au rite consistant à abattre un caribou parallèlement à sa fin, ou si les deux y ont pensé[22]. La mise en scène de cette mort semble dépasser Kurtz, et pour cause. La "folie" de cet homme se résume à un temps circulaire, puisque nous sommes passé du temps au mythe. Mais pour y arriver, il a fallu observer le cheminement américain sur un sol étranger.

Conclusion Générale

Nous avons vu que les rôles attribués à chacun des personnages dépassaient le simple conflit humain, que la structure du film dépassait le conspirationisme, que Coppola veut montrer que l'on peut continuer à faire du cinéma, tout en cherchant à donner de nouvelles émotions au spectateur par la qualité de l'image et du son, afin de l'immerger dans une Réalité autre, tout en faisant de ce film un mythe liant l'épopée Américaine à l'Odyssée de Willard. Apocalypse Now répond aux attentes en transcendant les questions.

En donnant à Willard un spectre de choix par le travers des meurtres perpétrés durant la guerre qu'il viens de subir, il s'est allié les spectateurs américains, traumatisés eux aussi par les images qu'ils ont vu de la guerre à la télévision. Ce n'est plus Willard qui remonte la rivière de plus en plus seul, mais toute l'Amérique, de plus en plus soudée avec lui.

Car Coppola ne fustige pas les États Unis, mais il cherche un moyen pour les aider de se sortir de cette mauvaise image qu'ils ont d'eux même. Il sait que son pays a fait des erreurs, les reconnait, la réponse définitive de son film est de chercher un moyen spectaculaire d'absoudre ces fautes. Il faut pour cela, nous dit-il en substance, une nouvelle génération qui soit forte et qui prenne la place. Cette génération, c'est celle de 79, trop jeune pour pouvoir participer à cette guerre faute de ne pas avoir l'âge minimum requis


[1] J.-B. Thoret, Le cinéma américain des années 70, Paris, Cahiers du cinéma, collection " essais ", 1987 ;
[2] Dennis Hopper, Easy Rider, prod. Peter Fonda, 1969 ;
[3] P. Cowie, le petit livre de Apocalypse Now, Paris, Cinéditions, 2001 ;
[4] J.-P. Chaillet, C. Vivianni, Coppola, Paris, Rivages, collection " cinéma ", 1987 ;
[5] We must kill them. We must incinerate them. Pig after pig. Cow after cow. Village after village, armee after armee... and they call me "an assassin". But how call it, when the assassins accuse an assassin. They lies. They lies and we have to be mercifull with those who lies.
[6] He was close. He was real close. I could not see him yet but I could feel him. As of this boat was being sucked up river and the water was flowing back to the jungle. Whatever
was going to happen, it was not going to be the way they called it in Nha Trang.
[7] Conversation entre Marlon Brando et F. F. Coppola, cassette audio, American Zoetrope Research Librairy (AZRL), Rutherford, Californie ;
[8] J.-B. Thoret, Op. Cit. ;
[9] Don't look at the cameras, don't look at the cameras... Go on through... Don't look at the cameras.. Go by just like you're fighting...
[10] P. Cowie, Le petit livre d'Apocalypse Now ;
[11] Olivier Père, " Apocalypse Now de Francis Ford Coppola " In : Les inrockuptibles ;
[12] Joseph Conrad, A Heart of Drakness, 1899;
[13] P. Cowie, Op. Cit. ;
[14] Fax Behr, George Hickenlooper, Hearts of Darkness: A Filmmaker's Apocalypse, prod. Showtime/Paramount, 1989 ;
[15] Psych-war ;
[16] The roach ;
[17] P. Cowie, op. cit. ;
[18] Ted Kotchef, First Blood, prod. Buzz Feitshans, 1982 ;
[19] Ain't no longer classified, is it? ;
[20] Freedoms - from the opinions of others... Even the opinions of yourself ;
[21] An errand boy, sent by grocery clerks to collect a bill ;
[22] J.-P. Chaillet, C. Viviane, Op. cit.