mardi 19 juillet 2011

Berserk - l'ère des châtiments - le cycle des enfants perdus

Berserk – L’ère des châtiments – le cycle des enfants perdus
berserk#14 
Berserk est un manga au long cours écrit par Kentaro Miura. Elle raconte les aventures d’un personnage nommé Guts, et de toute la communauté qui l’entoure, dans un médiéval fantastique sombre. Le début de la publication date de 1990 au japon. Kentaro Miura en avait déjà écrit un prototype à l’université, en 1988 (prototype publié dans le tome 14).


Sur le genre :

La fantasy est un genre initialement cantonné aux milieux anglophones. Il présente des actions inspiré des légendes et du bestiaire nordiques, de façon relativement manichéenne. La traduction française du terme fantasy est celui de médiéval-fantastique.

Donjon et Dragon fut créé par E. Gary Gygax et Dave Arneson en 1974, à partir d’un wargame, Chainmail, lui-même créé par G. G. et Jeff Peren en 1971. Le jeu de base est donc un jeu de guerre sur plateau. Donjon et Dragon ajoute des caractéristiques pour le faire basculer, avec des personnages fantastiques (elfes, etc.). c’est le premier jeu de fantasy, au sens français. Il fut l’un des premiers jeux de rôle à être commercialisé à partir des années 1970.

Suite à la domination américaine (1945-1952), les japonais connurent la naissance de Donjon et Dragon (ce qui n’est pas le cas de la France, la première traduction française datant de 1988). C’est notamment par ce biais qu’ils se sont familiarisés avec l’univers de la fantasy en produisant des œuvres types comme Les chroniques de la guerre de Lodos, ou Final Fantasy.

Berserk présente un univers d’un sous genre de cette fantasy : la dark fantasy. La traduction française de ces termes est médiéval fantastique sombre. Effectivement, l’époque décrite dans cette épopée est rongée par les guerres et plus généralement la violence : l’armement des personnages fait penser à celui de la guerre de cent ans. D’un point de vue purement formel, la dark fantasy se rapproche de l’horreur, de par le traitement réaliste des combats, par exemple. Mais le coté épique de la quête l’en éloigne.

L’avantage que connait la dark fantasy sur la fantasy est la profondeur du propos. La dark fantasy se plongeant dans un monde à priori mauvais, le manichéisme de la fantasy n’y a plus droit de cité. Dès lors, il apparait que la plupart des œuvres de dark fantasy interroge plus viscéralement les choix de l’Homme : comment faire le bien dans un monde vérolé ?

L’ère des châtiments :

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Berserk suit donc les tribulations de Guts, un guerrier mercenaire vivant au jour le jour. L’histoire est prévue en plus de 50 volumes. Une première arche de ses aventures vient de se clore au quatorzième tome : il s’agissait de la présentation de ce personnage et de sa fréquentation avec la troupe du faucon menée par Griffith, et l’effondrement de cette dernière, qui donne à Guts un fils mi-humain mi-démon.

Le cycle des enfants perdu ouvre la première ‘ère’, et est publié sur trois tomes, du 14° au 16°. Ma lecture s’est arrêtée après le 16° tome pour faire cette étude. Je vais analyser cette histoire uniquement, tirée de l’œuvre de Kentaro Miura.

Résumé :

Guts affronte Rosine, une ex-enfant devenue elfe démoniaque, et possédant une Béhérit grise. Jill, jeune fille qu’il sauve au début de l’histoire fini par protéger Rosine, qui est son ancienne amie.
Parallèlement à cela, l’Ordre des Chaines Sacrées (Ordre qui apparait au début de cette histoire) suit les traces de Guts, pensant suivre celles du Faucon Noir (c'est-à-dire celles de Griffith métamorphosé).

Quel est le monde de cette histoire ?

C’est une variation sur quelques lieux symboliques : d’abord un arbre, vu comme porteur de mort (l’arbre de la forêt où ont été éviscérées plusieurs personnes), porteur de vie (l’arbre à cocon), ou porteur d’insouciance (l’arbre que découvre Puck dans la vallée des brumes). Un village ensuite, bâtit par l’homme (comme celui où vit Jill) ou naturel (celui des elfes) ; ces deux villages sont sur des hauteurs, étant donné que celui où vivent les humains se situe sur un plateau rocheux, quand l’autre, où vivent les elfes, semble contenu dans l’arbre.

Ensuite, d’autres lieux sont placés : forêt ou désert de pierre.

Enfin, le dernier lieu visité est celui de « l’air ». Successivement, Jill puis Guts ont une scène dans les airs, alors qu’ils sont portés par l’elfe Rosine.

Les décors de cette histoire laissent entrevoir une modulation sur des questions de vie, de mort et de transcendance d’une part, et de l’apport de l’homme sur la nature d’autre part (question qui sera déclinée entre l’imaginaire de l’adulte et celui de l’enfant, qui entraine tout le reste).

Le réseau de personnage :

  1. Les sept étapes dramatiques

Les sept étapes de la structure narrative ne se basent plus sur une structure extérieure au héros, comme il vient d’être fait dans l’étude des décors, mais partent du personnage principal. Il faut donc avant tout définir le héros. Le protagoniste, présent à chaque chapitre de l’œuvre de Kentaro Miura est Guts. Mais celui de cette histoire, celui qui est le plus secoué et qui prend le plus de décision est Jill, la fille que Guts découvre sur le point d’être éviscérée.

A partir de là, l’auteur nous montre successivement ses faiblesses puis ses besoins, son désir et son adversaire, avant de présenter son plan, la confrontation finale puis le nouvel équilibre dans lequel elle vit, finalement.

Faiblesse : c’est une fille (« sexe faible ») d’une douzaine d’année qui vit dans un pays en guerre perpétuelle.
Problèmes : elle ne sait pas se défendre.
Besoin : s’échapper de ses obligations « de fille » (futur tracé dans les limites de sa mère)
Désir : fuir avec Guts
Faux-Alliée/Adversaire : Rosine
Plan : retrouver son amie Rosine qui a fui il y a des années, et qui semble maintenant mener une belle vie.
Confrontation finale : Elle se bat contre Rosine, qui n’est qu’un être qui s’est réfugié dans un monde de fiction pour ne pas subir le monde tel qu’il est, tout en l’appliquant cependant.
Révélation personnelle : elle doit se battre chez elle, dans le réel de son village
Nouvel équilibre : elle décide de mener son combat dans son village, d’y rester et de protester, avec espoir.

  1. Le réseau des personnages


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Maintenant que l’histoire a été découpée selon les objectifs de l’héroïne, le réseau des personnages peut se construire. Ce réseau lie les personnages pour donner une force morale  l’histoire. Il montre que les personnages sont à la fois liés et opposés aux autres. De plus, les personnages sont tous liés ainsi à la thématique de l’histoire, portée par Jill, et abordée dans le travail des lieux

Tout d’abord, définissons les personnages d’après leur fonction dans l’histoire et l’archétype auquel ils empruntent le plus souvent.

Jill est donc le personnage principal, l’héroïne de l’histoire. Elle porte le désir de s’émanciper, mais a des défauts, il lui manque notamment une force (physique) pour s’affronter à sa famille. L’archétype qui est le plus proche de son personnage est celui du rebelle, qui a le courage de dire non au système, mais qui souvent ne trouve pas d’autres alternatives que de simplement détruire, sans rien avoir à reconstruire ensuite.

Son adversaire principal est Rosine. Ancienne amie, elle est devenue « la reine des elfes » et de se fait, elle cherche à attirer à elle Jill. Elle veut la faire devenir une elfe à son tour. C’est à priori un objectif louable, mais si tout ce passait tel quel, elle enferme Jill dans le monde du conte, tout en l’empêchant de s’émanciper (elle passerait simplement de la domination de ses parents à celle de Rosine). Rosine cherche donc à empêcher le plus Jill d’assouvir son désir. Elle reprend pour son compte l’archétype de la reine (de la mère) voulant créer autour d’elle un cocon pour que rien ne l’atteigne et qu’elle puisse s’épanouir – le cocon étant ici trop restrictif pour que Jill puisse se sentir en liberté. (berserk-27033)

A coté de Jill se trouvent deux alliés : Guts et Puck. Ce sont deux parties d’un même être. Guts est le chevalier noir, qui se défend avec une lame pourfendeuse de dragons, tandis que Puck est lumineux, clair, et attaque à l’aide de bogues de châtaignes. Ces différences mises à part, Guts et Puck présentent le même goût de l’humain, le même goût de la vie au jour le jour, c'est-à-dire la même philosophie de la vie. Ces deux alliés sont les adjuvants de Jill, et ici, puisque cette histoire n’est qu’une infime partie de l’œuvre de Kentaro Miura, ils ont un objectif qui leur est propre. Ces deux personnages reprennent cependant chacun un archétype précis. Guts pour sa part reprend celui du guerrier : c’est le champion physique du bien. Mais comme il vit selon le principe de « tuer ou être tué » ses intentions peuvent rester obscures. En témoigne l’action où il tient un jeune garçon à bout de bras, pour attirer les elfes à l’extérieur du village. Puck, pour sa part, reprend l’archétype du clown. Comme un juge des actions de Guts, il n’arrive pas toujours à le suivre. Il en va de même lorsqu’il porte conseil à Jill : il montre ce qui ne fonctionne pas, ce qui ne peut fonctionner. Sa faiblesse est sa petitesse et son non-discernement des actions qui se déroulent.

Enfin, si Zeppek, le père de Jill, est observé, il se trouve être un faux adversaire, puisqu’à la fin, il finit allié de Jill… même cette dernière ne l’écoute pas. Il reprend l’archétype du roi qui régit ici sa famille avec détermination, tout en leur imposant de suivre une discipline stricte qui est réductrice de leur liberté.


Maintenant que le rapport général des personnages à leur fonction a été établi, il faut à présent les individualiser pour leur donner un point de vue unique au sein de la thématique de l’histoire. Ainsi, le problème moral au sein de l’histoire interroge la façon dont on peut s’émanciper de sa famille, tout en proposant deux pistes : se réfugier dans le conte d’enfant (choix de Rosine) ou devenir soi-même adulte (objectif final de Jill).

Dès lors, il apparait que Jill s’oppose à Rosine, mais aussi à d’autres personnes : Guts, qui ne voit dans les personnages monstrueux comme Rosine que des êtres à abattre ; et son père, Zeppek, qui lui reste dans un monde qui n’est pas de contes pour enfants, mais de contes pour adultes, tels les batailles auxquelles il a participé durant la guerre qui a précédé l’histoire. Elle s’oppose aussi par moments à Puck, qui veut qu’elle reste humaine, alors qu’elle ne sait quelle solution choisir.

A présent, étant donné que Jill et Guts se partagent à priori la place de héros dans cette arche, puisque Guts est, pour les aficionados, le personnage récurent donc le héros, tandis que Jill est l’héroïne de cette petite histoire, il faut faire en sorte que cette dernière mène l’histoire, que toutes les avancées soient dues à ses choix. Kentaro Miura en a fait quelqu’un de fascinant, en la montrant doué d’une certaine force de caractère, tout en restant très malléable aux propositions, notamment celles de son amie. Afin de créer une empathie pour le héros, il en a fait une jeune fille d’une douzaine d’année : il a condensé le personnage féminin (donc accepté comme faible) et celui de l’enfant (donc innocent, ne sachant où il va), tout en la montrant victime de tentatives toutes plus horribles les unes que les autres, telles que le viol ou l’éviscération. En contre partie de Jill, Rosine est quatre ans plus agée, et bien que belle avec ses ailes de papillon, elle en demeure cependant monstrueuse (au sens propre de chimère) pouvant changer d’un visage pur à une figure démoniaque. Rosine attire moins que Jill. Enfin, la trajectoire de Jill, formulée différemment, est de passer d’enfant à adulte, soit en remettant en question les principes auxquels elle a cru depuis sa naissance.

L’histoire

En détaillant les personnages, leur rôles, leurs archétypes et leur individualité, l’histoire, si nous la composions, aurait presque été écrite, car fondée sur la base solide des rapports à la thématique. Seulement, pour l’écrire, il faut savoir vers où les personnages courent. Voilà pourquoi je vais porter un intérêt particulier à la phase de la révélation, sous deux angles.

Tout d’abord, dans quel cadre s’effectue-t-elle ? A ce moment du récit, Jill est douée de raison, c'est-à-dire qu’elle peut faire la différence entre ce qui lui apparait comme le bien ou le mal (et qui à fortiori est bien ou mal du point de vue de l’auteur). Mais parallèlement à cette donnée, Jill n’a toujours pas révélé son choix, quand à la direction à suivre (rester enfant ou devenir adulte). De plus, voir que Rosine, la reine des elfes, pouvait ainsi changer et devenir un monstre (physiquement comme mentalement) l’a choqué.

Elle est donc prête à subir sa révélation, qui est spectaculaire, puisqu’elle se jette sur Rosine, elle sacrifie sa propre vie si la lame de Guts tombe, pour que son ancienne amie puisse continuer à vivre. Ce faisant, Jill comprend qu’elle s’est mentie, puisque Rosine n’a désormais plus de famille, et sera désormais un « paria », comme le protagoniste que l’histoire qu’elle raconte à Guts précédemment au cours de l’histoire.

A présent, définissons le débat moral de l’histoire, et par elle, afin de comprendre comment la thématique peut être si facilement définie, après coup.

Le système de valeur sur lequel s’appuie Jill, au début de l’histoire peut s’exprimer sous la forme « le monde surnaturel est à priori meilleur que le monde naturel. » Effectivement, elle verra Guts comme un fantôme d’un autre monde venue la sauver… Ce qui amène sa fuite du monde naturel, son village, sa famille (faiblesse morale), tout en montrant, de façon sous jacente, son besoin moral : vaincre ses croyances pour progresser dans son monde à elle.
De fait, la première action immorale de Jill est à l’encontre de Puck, qu’elle fuit car elle croit qu’il fait partie d’elfes bien précis, ceux de la vallée des brumes, qu’elle craint.

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Construction

Cette histoire se présente clairement en trois actes. Le premier se déroule sur six chapitres, le deuxième sur onze chapitres et le dernier sur six chapitres à nouveau. Le premier se déroule dans deux lieux (arbre mort et zone ‘civilisée’, humanisée), le second présente une progression géographique jusqu’à l’arbre aux cocons (soit sept lieux), et le dernier se déroule sur trois lieux : les airs, la vallée des brumes et l’espace de fuite où Guts explique à Jill qu’elle doit se battre sur son terrain et non le suivre.

Le premier acte de ce cycle peut se comprendre comme une histoire complète, qui se finit par un cliffangler, qui relance le deuxième acte : Guts annonce un ‘changement de plans’, à la fin du premier chapitre du tome 15, après une double révélation : les elfes tués par Guts redeviennent humain… mais restent mort (ici brûlés) ; Rosine, la reine des elfes, est une amie ancienne de Jill. Observons-en la construction :

Tout d’abord, dans la structure même, il y a un travail de symétrie qui a été effectué :

Le prologue autour du lac de sang prophétique est mis en échos avec l’épilogue des ‘enfants brulés’, par le thème de la mort. Pour ceux qui n’ont pas pu lire ces chapitres, je rappelle que le lac de sang est peuplé de monceaux de cadavres, dans un état de décomposition avancé par rapport aux dépouilles calcinées. De plus, l’Ordre des Chaînes Sacrées, couvert de blanc (et versé dans des matières occultes – ils parlent de sabbat – tout en les niant) rappellent aussi l’attitude des parents, obnubilés par les corps de leurs enfants. L’Ordre comme les parents font un rapprochement trop rapide entre le faucon noir et Guts, et le tueur d’enfants et ce même Guts. (je me permet de déborder pour préciser qu’il apparait ensuite logique que l’Ordre arrive au village au moment même où les enfants sont en train d’être bénis à l’enterrement).

En avançant d’une scène depuis le début et reculant d’une scène depuis la fin, des liens lient à nouveau très fort la scène qui débute réellement l’histoire, autour de l’arbre démoniaque, et la scène finale, à l’étable. Les lieux tout d’abord : l’arbre démoniaque est isolé dans la forêt. De même, l’étable est à l’écart des autres habitations. Ensuite, l’ordre des types d’opposants à Guts se présente sous la forme humain-démons dans la première scène puis démons-humains. Dans les deux cas, les hommes ne comprennent pas ce qui se passe. Seule Jill, elle, en a conscience, comme le gamin, à la fin.

Ensuite, la séquence entre les malandrins qui entrent dans la vallée des brumes n’est pas sans faire penser à celle, à la fois symétrique et opposée, où Guts trouve enfin le repos dans le moulin.

Enfin, la scène centrale au village est bâtie sur un principe de symétrie et d’opposition : le village inanimé au début fait écho à celui plein d’agitation de la fin, et la violence du père de Jill face à cette dernière (vêtue avec le manteau de Guts) appelle à celle de la violence de Guts par rapport aux villageois, avant sa fuite.

Je ne tiens pas compte, dans cette construction, des arguments qui sont échangés, qui eux aussi, ont des rapports de symétrie, mais surtout de tension : alors qu’au début, Guts détruit l’arbre et sauve ainsi Jill, à la fin, il détruit les démons et sauve par là même le village… même si les villageois ne le comprennent pas de la même manière.

Ayant lu ces trois tomes de Berserk, j’ai vraiment apprécié cette histoire, qui, par sa limpidité, ne m’a pas laissé un instant de répit. Il y a certes moins d’oppositions, de combats avec des monstres… mais surtout, cette histoire fait un lien avec les cinq premiers tomes de Berserk qu’elle poursuit : Souvenez vous, au début du premier tome de ses aventures, Guts rencontre Puck et se bat contre un homme qui a une dilection pour sa fille, souhaitant franchir le pas. Puis, Guts se souviens de son aventure, depuis sa naissance, puis dans la bande du faucon aux cotés de Griffith, et qui s’achève avec la naissance du fils de Casca (enfant-démon à la fois de lui et fils de Griffith qui le suit depuis lors toutes les nuits). Parallèlement, lors du sabbat clôturant l’aventure précédente, un jeune garçon, nommé Rickert, faisant partie de la bande du faucon, et qui devait rester  en arrière, avait été éloigné de ses camarades par une fille papillon (alors inconnue) qui prend avec cette histoire le nom de Rosine.

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