lundi 29 novembre 2010

Eyes Wide Shut - Traumnovelle

Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick et le processus adaptatif : nouvelle, scénario, film


That is the kind of hero I can be sometimes.
Stanley Kubrick, Eyes Wide Shut [10’]

Stanley Kubrick a travaillé avec le scénariste Frédéric Raphaël sur l’adaptation du roman d’Arthur Schnitzler Traumnovelle[1], afin d’aboutir au scénario du film Eyes Wide Shut. Afin de comprendre le processus qui les a guidés tout d’abord du roman au scénario puis du scénario au film, il nous faut passer par une brève définition de la notion d’adaptation et des questions que posent ce travail. Nous verrons ensuite le rapport de Kubrick à cette notion, en appliquant ce qui a été trouvé sur son travail en général au film qui nous intéresse ici. Enfin, nous nous pencherons plus particulièrement sur l’originalité d’Eyes Wide Shut en interrogeant le travail d’adaptation par l’intermédiaire de deux scènes.



I ‘‘adaptation’’

Le travail de l’adaptation consiste à faire passer une œuvre d’un média à un autre ; généralement, ce passage s’exécute à partir d’un texte qui devient film – on peut aussi voir des adaptations de vies (biopic) ou de pièces de théâtre. Ce travail peut s’exécuter sous plusieurs formes qui ont interrogé les critiques depuis la création du cinéma. Pour un bref historique, nous ne retiendront que deux ouvrages.

Le premier est l’article d’André Bazin, intitulé « pour un cinéma impur ; Défense de l’adaptation » parut en 1952. Il y décline trois penchants de l’adaptation que sont la fidélité (avec l’adaptation du journal d’un curé de campagne de Bernanos par Robert Bresson), l’adaptation (prenant ici l’exemple de celle de pour qui sonne le glas d’Hemingway par Sam Wood, filmé dans un style qui correspond à n’importe quel film d’aventure) et la libre transposition (prenant ici des films du type de Citizen Kane qui n’auraient pu exister sans James Joyce ni Dos Passos). C’est sur cette classification que se sont appuyé de nombreux critiques postérieurs, français ou anglo-saxons.

Outre Manche et outre Atlantique, ces critiques, si elles admettent la base proposée par André Bazin, restent septiques quand au fait qu’elles soient formellement cloisonnées. C’est ainsi qu’est sorti des presses en 2007 Film Adaptation and its Discontents: from Gone with the Wind to The Passion of the Christ, écrit par Thomas Leitch. Il reprend les thermes présenté par Bazin et les développe dans une dizaine de sous catégories qui peuvent, cette fois, s’entrecroiser. Il présente une catégorie ‘‘glorification de l’ouvrage initial’’, ce qui amène des choix esthétiques et formels, une seconde nommée ‘‘ajustement’’, où l’adaptation d’un texte en film oblige à des modifications tant sur la forme que sur le fond, une troisième ‘‘limitation néo-classique’’, où l’œuvre originale est réarrangée, puis ‘‘la révision’’ où sont créés des anachronisme par une modernisation du texte, suivis de ‘‘la colonisation’’ où des éléments totalement absents de l’œuvre originale sont ajoutés, etc.[2]

Ces notions s’entremêlent dans la filmographie de Stanley Kubrick, et elles serviront pour l’étude du processus d’adaptation de Eyes Wide Shut, en troisième partie. Tout d’abord, nous devons comprendre les ‘‘marottes’’ de Stanley Kubrick sur chacune de ces adaptations, afin de pouvoir en faire abstraction ensuite, dans l’étude du film proprement dit.


II. Kubrick et ses adaptations

Hormis Le baiser du tueur, Kubrick n’a réalisé que des adaptations, aidé par des scénaristes ou romanciers confirmés. Greg Jenkins a étudié la façon dont il a adapté trois récits dans l’ouvrage Stanley Kubrick and the Art of Adaptation: Three Novels, Three Films, paru en 1997. Il a analysé Lolita, The Shining, et Full Metal Jacket. Il en a conclu que Kubrick utilisait onze ‘‘marottes’’ qui faisait que l’adaptation différait du texte de base. Observons-en quelques-unes :

Tout d’abord, du roman au scénario, Kubrick réécrit l’histoire (ce qui d'un point de vue technique n'a rien d’anormal). Dans le cadre qui nous intéresse, Schnitzler place son récit à Viennes en 1925 et Kubrick le déplace à New York en 1999 : des aménagements sont obligatoires, afin de conserver une cohérence pour le spectateur. Parmis les coutumes qui ont évoluées, celle du téléphone est un point marquant, puisque l’on a plus besoin d'envoyer quelqu’un faire la commission. "A quelques exceptions près", nous dit Jenkins, "réécrivant l’histoire, Kubrick a tendance à simplifier la trame narrative". Il donne l’exemple de Lolita ou le personnage d’Humbert Humbert ne côtoie dans le film que la protagoniste et sa mère, tandis qu’il fréquente beaucoup plus de femmes dans le récit de Nabokov, ou celui de The Shining où il montre que Jack n’est plus l’homme compliqué et frustré, en contradiction permanente avec lui-même et le monde qu’il crée, mais un écrivain que seul l’hôtel hanté transforme en meurtrier. Traumnovelle parle du rapport à la fidélité, mais Kubrick a coupé un certain nombre d’éléments, ce qui ‘‘réduit’’ l’histoire à une relation entretenue entre le fantasme et la réalité, voir, selon Charles Bane[3], un rêve total. Cette réduction répond à un objectif autre de Stanley Kubrick, car, au travers de ce nouveau thème, il réfléchit en prenant une autre voie que celle proposée par Schnitzler.

Ainsi, comme il a été mentionné au paragraphe précédant et en toute logique avec la simplification du récit, Kubrick efface des scènes du texte original, des personnages, voir des dialogues. Cette affirmation se révèle d’autant plus vraie que le récit de 1925 raconte l’errance d’un homme dans Viennes et ses environs : supprimer des scènes revient à supprimer des personnages, et actualiser l’histoire en 1999 revient là encore à modifier et ou supprimer des dialogues ‘‘datés’’.

Kubrick, ajoute Jenkins, propose des héros plus vertueux et des antagonistes plus pervers. Comme il a coupé des passages du texte, par exemple ce qui s’était passé « l’été dernier » et qui invoquait Fridolin et un flirt, ce personnage, désormais Bill, apparait en toute logique moins déviant, donc plus vertueux.

En contre partie, il faut définir l’antagoniste dans ce film, car il est à priori difficile à cerner. Ce dernier peut être Alice, ou la suite de personnes que Bill croise dans son errance. L’homme au masque vêtu de la cape rouge est-il plus pervers que Ziegler ou la prostituée Domino plus pernicieuse que Nightingale ? Ceci est difficile à définir, puisqu’il n’appartient qu’à Bill de se fourrer dans des guêpiers et de tomber de Charybde en Scylla – avant d’en réchapper à chaque fois de justesse. Comme Fridolin dans le livre, Bill est le seul maître de sa destiné. Cependant, afin de simplifier l’intrigue, Kubrick et son scénariste ont du expliquer ce qui s’est passé lors de l’orgie à laquelle Bill a été témoin. Ziegler, dans une scène rajoutée, lui explique que tout ceci n’était qu’une mascarade, tandis que Bill lui présente la page du New York Post qui parle du décès par overdose d’une junkie qui pourrait être la fille qui l’a sauvé à l’orgie. L’antagoniste semble être Bill lui-même, à défaut d’être le mécanisme mis en place pour lui faire peur. Effectivement, les moyens employés sont plus pernicieux que ceux mis en place pour effrayer Fridolin dans le livre, les évènements s’y croisant de manière beaucoup plus libre.

L’affirmation suivante de Jenkins propose que Kubrick diminue le potentiel de violence du livre. Après 80 ans, et suite aux changements de coutumes déjà exprimés, la lecture que l’on en a est de toute façon beaucoup moins violente qu’à l’origine. Or, comme il n’y a ici qu’une violence intellectuelle, la personnalisation des rôles (Fridolin, désormais Bill, est interprété par un acteur, et a donc un visage et une personae particulière) rend le débat d’idée beaucoup plus violent.

Ce qui nous amène à la citation suivante de Jenkins, qui affirme avec raison, selon moi, que les films de Kubrick, sont formés de plus de nœuds dramatiques que les ouvrages qui ont servis de base à l’adaptation pour tenir le spectateur en halène. Tous les textes ou scénariste qui ont parlés d’Eyes Wide Shut remarquent l’enchevêtrement de ce type de nœuds.

La dernière affirmation de Jenkins autours du lien entre le roman et le scénario, concerne la morale qu’apporte Kubrick. Il écrit que les films qu’il propose ont une morale plus conventionnelle que les romans adaptés. Cette affirmation se vérifie à nouveau dans ce film. Kubrick et Raphaël ayant clairement défini les niveaux sociaux dans lesquels évoluent les personnages, il apparait clairement que l’une des morales du film est : les gens de classe moyenne ne peuvent fréquenter autre chose que leur niveau social, tandis que les gens de la haute bourgeoisie peuvent le faire, en quel cas se sera avec des personnes de toutes classes de la société. Tandis que chez Schnitzler, on ne retrouve pas de morale de ce type, tant le récit correspond plus à un débat d’idée transcrit sous une forme fictionnelle.

A ce stade d’analyse, nous voyons clairement apparaître des premières spécificités de l’adaptation de Traumnovelle par rapport au travail général de Kubrick, tel que l’a noté Jenkins. Si la plupart de ses affirmations restent exacte, elles diffèrent en ce qui concerne le rapport de violence entre les œuvres.

Désormais, penchons nous sur le travail de cinéaste qu’accomplit Kubrick, toujours d’après ce qu’en dit Jenkins, sur la spécificité de l’adaptation ‘cinétique’ du livre, c'est-à-dire, comment Kubrick met-il son scénario en mouvement, comment filme-t-il son adaptation.

Jenkins commence par dire que Kubrick invente son propre matériel, un matériel qui se veut simple et épuré, et qu’ensuite, il impose ce matériel à la trame narrative. Ainsi, Kubrick crée un lien entre le thème de ce qu’il veut raconter et la forme qu’il va utiliser, tout en imposant sa patte, soit en faisant de son film un film de Kubrick. C’est le cas ici, dans Eyes Wide Shut, ou des plans longs et généralement mobiles alternent avec de courts plans fixes – nous y reviendront.

Greg Jenkins remarque que quelle que soit la façon dont le roman commence, Kubrick ouvre son film avec une séquence très visuelle qui saisit immédiatement l’attention du spectateur. Cette déclinaison s’applique effectivement au film qui nous intéresse. Après l’icône du distributeur Warner Bros, (et le son habituel) Le générique de début apparait en fondu sur la musique nostalgique de Shostakovich From Jazz Suite, Valse 2.

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Figs 1.1-1.6 : Les six plans du générique d’Eyes Wide Shut

Les quatre premiers cartouches apparaissent en fondu à l’ouverture (une demi-seconde) et disparaissent dans un fondu aux noirs de même durée. Le premier plan représentant Alice de dos se déshabillant arrive et disparait en cut, la disparition étant suivie d’une seconde et demie de noir avant que le cartouche du titre n’apparaisse, lui aussi en cut, et soit coupé de la même façon par l’ouverture du film qui situe l’histoire dans l’espace et dans le temps : New York contemporain, hiver (probablement 18 ou 19 heures d’après la circulation, il fait nuit). La séquence est visuelle et attire l’intérêt du spectateur par son contenu.

Pour sa part, le récit d’Arthur Schnitzler commence avec une mise en abîme de l’histoire : la fille de Fridolin et Albertine lit un passage des Mille et unes nuit. Ce passage décrit le moyen de locomotion et le costume d’un prince ; la lecture est interrompue avant que nous ne puissions savoir ce que voit son regard. On a du mal a pouvoir retrouver ces paroles dans le début du film.

Nous avons donc ici vu comment procédait Kubrick de façon générale avec l’adaptation de Traumnovelle, à partir de son travail général sur chacun de ces scénarios, telle que défini par Greg Jenkins. La spécificité de ce travail ci tient sur le rapport de violence entre le livre et le film, qui parait plus forte et plus intense dans ce dernier. Afin de comprendre plus en profondeur le processus qui a guidé l’adaptation de Kubrick et de Raphaël, nous pouvons à présent nous pencher sur deux scènes du film, et observer le système qui a transformé les passages correspondant en scène, grâce au matériel théorique laissé par Thomas Leitch. Nous allons donc travailler successivement sur le passage où Alice raconte ce qu’il aurait pu se passer l’été dernier avec un officier, puis celui où Ziegler fait des confidences à Bill.



III. Eyes Wide Shut
1. L’histoire d’Albertine/Alice, ou la mise en abîme

Dans le récit de Schnitzler, Cette scène est la troisième : tout d’abord, Fridolin et Albertine couchent leur fille. Puis est résumé ce qu’il s’est produit la veille et ce qui se produit ce soir : Chacun posant des questions à l’autre sur le bal qui s’est déroulé la veille, et tous deux jouant avec la jalousie de l’autre. Enfin cette scène. Dans le roman, elle est suivie par une anecdote qui s’est produit au même moment, mais conté cette fois par Fridolin. Nous sommes encore dans la présentation du récit, et c’est la première fois qu’Albertine prend la parole.

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Figs. 2.1-2.15 : la scène de l’histoire de Cape Cod


Dans le film, Cette scène achève la seconde séquence. La première concerne le coucher d’Héléna et le bal donné par Ziegler, ce qui se déroule entre Bill, les deux mannequins et la prostitué dans la salle de bain de Ziegler, et ce qui s’est déroulé entre Alice et Sandor. Dans la seconde se déroule une journée type de Bill et d’Alice, puis ils prennent un joint de cannabis et jouent ensemble à se dire la vérité sur la soirée de la veille : enfin, Alice en vient à raconter cet épisode.

Dans les deux cas, il y a mise en abîme : Alice/Albertine raconte. L’histoire est à peu près la même, il y a donc, en suivant la classification de Thomas Leitch, une glorification de l’œuvre originale.

Afin de rester sur le personnage d’Alice, Kubrick à choisi de tourner cette scène selon 3 points de vue (avec des zooms différents) et 15 plan, pour une durée de près de 5 minutes (voir les images ci-dessus). Il est intéressant de constater que la caméra est plus mobile lorsqu’elle cadre Alice que lorsqu’elle ne cadre Bill. Ce choix permet au spectateur de se concentrer sur ce que raconte Alice, tout en nous montrant quelques retour rapide sur les impressions de Bill. Ce que laisse la mise en scène au spectateur, en fait, c’est de prendre le temps de se créer une image mentale de ce qui s’est passé cet été à Cape Cod. Parceque c’est à lui de s’imaginer le lieu et les personnages. Alors que dans le roman, c’est un travail habituel, c’est ici dans le film quelque chose d’inhabituel qui oblige un calme à l’image. Ainsi, Kubrick rend hommage à ce qu’a écrit Schnitzler.

Cependant, la glorification n’est pas totale, car si l’on s’en tient à ce qui est dit dans le début du roman, on peut voir au travers du personnage d’Albertine celui de Shéhérazade, étant donné que le roman s’ouvre par une lecture des mille et une nuits, et que c’est la première fois qu’elle prend la parole. Plus précisément, Albertine serait une forme de Shéhérazade moderne. Or, comme Kubrick nous a présenté la vie d’Alice par le menu au début de cette séquence, et qu’il a été montré lors de la séquence précédente qu’elle pouvait parler de choses très concrètes dans un état second (les verres de Champagne), l’assimilation à Shéhérazade est ici impossible. Il faut donc qu’il y ait un ajustement. Cet ajustement se trouve tout d’abord dans la personae des acteurs qui interprètent les rôles, et la vision qu’en offre la caméra : chaque personne est visible, et chaque personne est nommée : nous savons déjà que leur enfant s’appelle Héléna, ce qui n’est pas le cas du livre. Parler d’Héléna plutôt que de dire, comme dans le livre, « mon enfant » permet d’une part de s’accorder aux us de notre époque, et en conséquence, d’autre part, d’exagérer l’effet dramatique produit.

Ces ré-arrangements définissent les personnages différemment qu’ils ne l’étaient dans le livre. Albertine/Alice reste le personnage « éveillé », femme fidèle et aimante dans les deux cas, malgré ses fantasmes et quel que soit son état ; c’est même celle qui est d’autant plus attachée à son mari grâce à ses fantasmes, comme si de vivre quelque chose de moins conventionnel par procuration la liait d’autant plus avec sa vie réglée (sans que ne soit nécessairement invoqué une question de mari, d’argent ou de sécurité). Par contre, Fridolin/Bill a connu une transformation : effectivement, comme le remarque Charles Bane, tandis que sa femme regarde le prix d’une peluche pour Héléna à la toute fin du film, Bill n’a pas connu de problème d’argent durant tout le reste de l’histoire. Un contraste se fait jour, comme s’il passait d’un monde (réel) à un autre (fantasmé). Aussi, les réactions des personnages ne sont pas tout à fait les mêmes. Bien sur, ce changement se fait à partir du changement de thème général du film. Dans la scène qui nous intéresse, Bill semble sur de lui, et sur, aussi, de l’influence néfaste de la drogue sur sa compagne ; mais elle reste lucide, ou du moins cohérente. Ceci marque un changement avec ce qui se fait dans la nouvelle, où, en plus de parler de ce qui s’est passé l’été dernier, il est bien précisé que ceci commence comme un jeu. Ici, malgré la dope, le coté ‘sérieux’ qui ressort de ce que le film propose montre à nouveau une Alice sure d’elle, qu’elle boive ou fume, tandis que Bill, lui, se laisse beaucoup plus facilement enivrer. C’était un peu le cas de Fridolin, mais pas tant.

Nous venons de voir que la glorification de l’ouvrage original, malgré un autre thème traité (celui du fantasme) amène une révision et limitation néo-classique qui appelle à des ajustements, à la fois dans les personnages, ce qui est dit et sous entendu, dans cette scène directement adaptée de Schnitzler.


2. La révélation de Ziegler, ou l’arrangement des personnages

A présent, il faut se pencher sur une scène inexistante du roman, inventée par Stanley Kubrick et Frédéric Raphaël, afin de comprendre ce que cette révision du texte de Schnitzler puisse cependant être sous-tendue par ce dernier.

Tout d’abord, observons le point de vue du scénario. Kubrick et Raphaël ont inventé le personnage de Ziegler, riche personne chez qui la première soirée s’était déroulée dans la première séquence, et qui avait appelé Bill à cette occasion dans la salle de bain à cause d’une fille qui venait de prendre de la dope. Ce personnage disparait pendant toute la suite du récit, avant de reparaitre pour donner la conclusion « la vie continue, comme toujours[4] ». C’est une personne âgée, qui par là même prend le rôle de mentor dans cette scène finale.

Cette scène peut être séparée en trois partie : dans la première, Ziegler avoue à Bill qu’il était présent à l’orgie de la veille, et il précise où est passé Nick, et conclue qu’il est passé pour le dernier des cons [sic] vis-à-vis des autres personnes de la fête (5’). Dans la seconde, il lui précise qu’il n’a été que le spectateur d’une mascarade (5’). Enfin, il explique à Bill que la mort de la prostituée n’a rien à voir avec ce qui s’est passé lors de l’orgie (3’).

Schnitzler a fini son l’intrigue sur la conscience de Fridolin alors que ce dernier est à la morgue avec le docteur Adler, avant que la conclusion n’ait lieu dans la chambre d’Albertine. Il a choisi de faire se confronter Fridolin avec la mort plus longtemps, et le docteur Adler fait regarder son travail de coloration de la peau sur un autre cadavre. On ignore donc ce qu’il est advenu du pianiste, et surtout, on ignore ici, avec Fridolin, si la morte est bien celle qui s’est sacrifiée à la partie. Et la fin de l’intrigue apparait de façon beaucoup plus sombre, le docteur Adler travaillant la nuit à réarranger des cadavres pour ne pas être dérangé… dans cette scène, Fridolin incarne la conscience, qu’Adler veut à tout prix éviter.

Alors que le film est sur le point d’aboutir, cette scène explique au spectateur ce qui vient de se passer pendant près de deux heures un quart. Elle suit la logique de Schnitzler, quant au rapport entre le docteur Adler et Ziegler. De même, Adler donne une nouvelle couleur à un corps mort, comme, ici de façon symbolique, Ziegler donne de la couleur à un mécanisme qui est resté jusqu’ici obscur. On comprend alors qu’un autre docteur ne pouvait être à la fois celui qui organise le bal de la redoute (dans le livre), fait partie de la soirée privée, et soit ce personnage-ci : il faut quelqu’un qui provienne d’une classe supérieure à Fridolin/Bill et Adler, donc supérieur au statut social des médecins, d’où la création de ce personnage. De cette façon, bien qu’ils ajoutent cette scène au récit original, ils continuent de suivre la logique de Schnitzler, et restent dans la glorification, tout en faisant en même temps une révision du texte.

A présent, si nous regardons la façon dont a été tournée cette scène, nous constatons que le moyen choisi par Kubrick est conservé depuis la scène étudié de l’anecdote : la caméra est mobile sur Ziegler, comme elle l’était sur Alice, mais reste toujours plutôt fixe sur Bill. Mais, tandis que les mouvements, dans la chambre, avaient une petite amplitude, ils ont ici toute une marge de manœuvre :

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Figs. 3.1-3.4 : le premier plan dans la salle de Billard.
On note la liberté de déplacement accordée à la caméra.


Après ce type de plan, qui ouvre à chaque fois une partie de la scène, suivent généralement un rapport de champs-contrechamps. Mais si la caméra est le plus souvent totalement fixe, lorsqu’elle est sur Bill (quitte, dans la seconde partie de cette scène, à l’isoler du reste du décor, en le filmant en gros plan avec un arrière plan flou), elle continue de ‘‘ vivre’’ plus dans les contrechamps sur Ziegler, sans pour autant nous détourner du sujet principal. On retrouve la grammaire de l’autre scène étudiée, entre Bill et Alice.


Conclusion

Après avoir étudié quelques questions que posait l’adaptation d’un texte en film, nous nous sommes penchés sur le travail qu’a effectué Kubrick au sein de chacune de ses adaptations : plusieurs différences apparaissent automatiquement entre l’œuvre initiale et le film, notamment, comme nous l’avons vu, dans le rapport de complexité entre l’intrigue originale et celle du film, celui de la morale et de la violence, et enfin en ce qui concerne la scène d’ouverture. Ces ‘tics’ relevés dans l’adaptation de Traumnovelle, nous avons pu nous plonger plus précisément sur le scénario d’Eyes Wide Shut, afin de déterminer s’il y avait un système, un processus qui permette de passer du livre au film. En étudiant deux scènes, il est apparu que l’adaptation est toujours tournée vers une glorification de l’œuvre initiale, bien qu’il y ait besoin d’ajuster l’œuvre, afin de l’adapter de nos jours. Le changement d’us et de coutumes induit demande révision du texte. Mais à chaque fois, cette révision ne va pas contre la glorification. Les scènes qui ont été créées partent elles aussi du matériel proposé par Arthur Schnitzler dans sa nouvelle. Ainsi, du point de vue du scénario, jamais Kubrick ni Raphaël n’ont trahis Schnitzler. La grammaire que Kubrick a ensuite établie pour son film reste la même du début à la fin, aussi y a-t-il une grande cohérence. Il peut certes créer cette grammaire seul, mais on remarque que la force de cette grammaire est de mettre en place des doutes et des rapports de pouvoir qui mettent en valeur le roman, ainsi que la thématique que Kubrick a choisi de couvrir à l’aide de son film.



Bibliographie :

BANE, Charles, Viewing novels, reading films: Stanley Kubrick and the art of adaptation as interpretation, University of Central Arkansas, Philadelphia, 2006, 216p.

BAZIN, André, « Pour un cinéma impur, défense de l’adaptation », In. Qu’est-ce que le cinéma ?, coll. 7° art, éditions du Cerf, Condé-sur-Noireau, 2010, 375p.

JENKINS, Greg, Stanley Kubrick and the art of adaptation: three novels, three films, McFarland & C°, Inc., Jefferson, North Carolina, 1997, 173p.

LEITCH, Thomas, Film adaptation and its discontents: from Gone with the wind to the Passion of Christ, The Johns Hopkins University Press, Baltimore, Maryland, 2007, 359p.

KUBRICK, Stanley, Eyes Wide Shut, Warner Bros, 1999.

RAPHAËL, Frederic, KUBRICK, S., Eyes Wide Shut, a screenplay by Stanley Kubrick and Frederic Raphaël, 1999

SCHNITZLER, Arthur, La Nouvelle rêvée (Traumnovelle), coll. « Biblio », Le livre de poche, La Flèche, 1991, 192p.


[1] Le texte est paru en anglais sous le titre Rhapsody, A Dream Novel, et en français sous celui de La Nouvelle rêvée.

[2] Thomas Leitch ajoute aussi les notions de ‘‘déconstructivisme’’ (‘‘métacommentaire’’, où l’on voit le scénariste au travail), d’‘‘analogie’’, de ‘‘parodie ou pastiche’’, d’‘‘emprunt ou allusion’’ et enfin des ‘‘adaptations au second, troisième degré’’ sur lesquelles nous ne nous ne pourrons nous pencher ici car ils ne sont pas utilisé dans ce film.

[3] BANE, Charles, Viewing novels, reading films: Stanley Kubrick and the art of adaptation as interpretation, University of Central Arkansas, Philadelphia, 2006, 216p.

[4] « But life goes on. It always does…» KUBRICK, Stanley, Eyes Wide Shut, [2:18:15]

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J'ai déjà fait une étude comparative entre Eyes Wide Shut et le Decalogue III de Kieslowski à l'adresse suivante :

samedi 16 octobre 2010

High Plains Drifter - l'homme des hautes plaines

High Plains Drifter – L’homme des hautes plaines


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Réalisé par Clint Eastwood
Ecrit par Ernest Tidyman et Dean Riesner (non crédité)

L’homme des hautes plaines est le second film de fiction dirigé par Clint Eastwood, en 1973. Ce dernier fait encore ses premières armes : le film se rapproche de la profondeur et du minimalisme qu’auront par la suite Impitoyable, Sur la route de Madison ou plus récemment Grand Torrino, sans arriver cependant au même niveau émotif. C’est vraiment le film d’un grand cinéaste en devenir.

Ce western raconte l’histoire d’un cowboy qui arrive dans un petit village et qui est engagé par le shérif pour qu’il protège les habitants de trois tueurs qui ont pour ambition de mettre la ville à sac. Ce cowboy, dont l’identité nous est inconnue tout le long du film, accepte, à condition qu’il puisse faire tout ce qu’il souhaite.

Les scénaristes doivent nous faire comprendre que ce cowboy est le plus fort, un peu comme un super-héros. Il doit donc dominer sur le masculin et le féminin. Observons maintenant comment est composé le début du film : le cowboy arrive au village. Les habitants masculins le provoquent et il répond en les tuants. Les habitantes féminines le provoquent et il répond en les violant.

Ce cowboy tient des relations ambiguës avec cette ville, comme nous le découvrirons par la suite, et apparait ici comme quelqu’un de violent, qui possède une conception du bien et du mal bien à lui : à chaque fois, sa réponse apparait disproportionnée par rapport à la provocation. Cependant, le spectateur ne le prend pas pour le grand méchant de l’histoire : il s’identifie même tout de suite à lui. Afin de comprendre comment les scénaristes ont fait pour que ce personnage ne soit pas antipathique, il faut comprendre le travail d’orfèvre réalisé par les scénaristes, lors de cette séquence.


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Le cowboy arrive au village.

Cette proposition peut être à nouveau séparée en deux : le cowboy arrive à vue du village ; il y pénètre.

Pendant qu’il fait le trajet pour arriver à vue du village se déroule le générique en surimpression. L’image propose pour tous personnage le cavalier sur son cheval. Le montage nous oblige à suivre son avancée, et insiste sur les sabots du cheval. Nous n’avons alors aucune idée des ambitions du cavalier, mais du fait que son cheval avance de façon hasardeuse sur le sol meuble, le public s’inquiète un peu pour celui qui le chevauche. Nous avons l’intuition qu’il s’agit de Clint Eastwood, étant donné que son nom, sur le générique, c’est inscrit juste après l’apparition du cavalier. Mais nous ne voyons pas son visage.

Le village apparaît en contre bas, avec le cowboy en amorce. Celui-ci continue sa descente, et passe ensuite par un cimetière avant d’entrer dans l’espace juridique de Lago. Le cimetière donne un destin au personnage. Nous reviendront sur ce lieu avec un autre axe problématique, lorsque nous allons parler du côté spectral de ce personnage, aussi n’anticipons pas. Le coté juridique est précisé par la pancarte, et l’espace juridique est construit : une route principale, bordée de maisons de bois. Cette route se déroule jusqu’à une église et se perd ensuite. Cette ville est une impasse, nous y reviendrons. Pour lors, reprenons notre cowboy, dès qu’il entre à Lago. Comme dans un western classique (et d’autres films aussi, comme Vanishing Point qui reprend le même thème d’homme solitaire à priori rejeté car non fixé), il est scruté comme un élément indésirable. A ce moment, les personnages nous sont tous présentés. Certains sortent d’un saloon, d’autres occupent les taches de maitre d’hôtel… tous sont au même niveau que lui. Seule une femme se situe à l’étage supérieur. Nous ignorons alors que c’est la femme « respectable » (là encore, nous y reviendront) qui est vue en contre plongée. Tous les hommes qui le scrutent suent – Les femmes, non, et l’étranger que nous suivons depuis le début non plus. Suer est-il synonyme, comme dans le Jules César de Mankiewicz tel qu’analysé par Barthes dans ces Mythologies, de débat profond sur la moralité de leurs actes ? Quand ceux qui ne sueraient pas seraient, comme le personnage de Jules César dans ce même film, serait ceux qui n’auraient pas de problèmes avec leur conscience ?

Notre cowboy solitaire gare son cheval au bout de la rue, près de l’église, puis revient au saloon.

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Les habitants masculins le provoquent et il répond en les tuant.

Nous entrons ici dans la seconde scène du film. A nouveau, cette proposition peut être divisée en deux : il va au saloon où on le provoque. Ensuite, il va se faire raser, et il répond à ce moment là à la provocation initiale.

Dans le saloon, la tension est visible, de par la pénombre de la pièce, allié à la couleur sombre des boiseries, tout ceci entrant en opposition avec le soleil violent de l’extérieur. Le cowboy demande une boisson (et une bouteille). On l’agresse pour la première fois verbalement, le traitant de « clochard » en version française. Il n’y a pas de réponse à apporter, aussi le cowboy n’en apporte-t-il pas. Il sort juste avec sa bouteille. Ensuite, il va se faire raser.

L’échoppe où l’on rase est très claire, à l’opposée du saloon. Elle est ornée de grandes fenêtres et laisse par suite entrer la lumière. Le barbier tremble lorsqu’il voit le cowboy entrer, mais il reste professionnel et lui propose ses services. Lorsqu’il voit les cowboys qui sortent du saloon en face et qui se dirigent par ici, il fait tourner le siège du cowboy pour que ce dernier ne les voie pas. Ainsi, les bad guys peuvent entrer sans problèmes dans la boutique. Et là, ils se provoquent à nouveau. Les hommes fraichement entrés vont pour tuer, mais celui qui est visé tire de sous sa serviette blanche, avec une précision diabolique. Tel était pris qui croyait prendre. Il s’essuie et quitte le magasin.

Plusieurs choses nous auraient poussés à prendre le cowboy pour un personnage antipathique, si elles n’avaient pas été amenées dans le bon ordre. Car en fait, il montre ici sa supériorité. Si l’on exclu l’ambiance lourde qui pèse sur le village pendant l’arrivé de Clint Eastwood (appelons-le comme ça, ce qui lui donne un nom), et qui se perpétue dans la suite de l’arrivée jusqu’à la mort des méchants, il y a des éléments de mise en scènes qui montrent qu’il est rejeté. La façon dont le barman décrédibilise sa bière en la servant, par exemple. La mise en scène : Clint face au reste de la ville, l’opposition se faisant oppressante car les hommes (il n’y a que des hommes dans le saloon) sont tout au fond, dans le bar, quand Clint vu, avec des taches de lumières derrière lui. Il se contient, cela se sent, mais il ne bouge pas. Ce n’est que lorsque sa vie sera mise en danger qu’il agira avec brio, soit dans le magasin du barbier, qu’il agira avec brio. Lorsqu’il tue, malgré que les plans s’enchainent à toute allure, une certaine insistance est faite sur le fait que les balles sont tirées avec précision, entre les deux yeux. Finalement, Clint ne tue pas de sang froid, mais dans un état de légitime défense. En plus, il tire bien. C’est à la fois le plus fort et le héros. Il règne sur les mâles.


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Les habitantes féminines le provoquent et il répond en les violant.

Cet épisode passé, Clint ressort de chez le barbier, se fait féliciter par un personnage-nain qui a son intérêt dans la suite de l’histoire, puis il se déplace avec un objectif qui nous est inconnu (et qui d’ailleurs n’a pas d’importance). Le cowboy a maté les hommes, que va-t-il en être des femmes ?

Une fille, Callie Travers, s’approche, et se heurte volontairement à lui. Elle commence à l’insulter. Il la prend par le bras, l’amène dans une grange et commence à la violer. Alors qu’elle ne voulait pas, dès qu’il semble être en elle, tout d’un coup son caractère change, et elle le retient.

Cette nouvelle séquence apparait comme une déclinaison de la précédente : les mêmes choses se passent, mais ici, le cowboy répond avec un acte sexuel, que, visiblement, il sait bien faire. Comme la femme apprécie, Clint gagne à nouveau sur ce tableau, et surtout, comme elle apprécie, il ne passe pas pour un méchant. En contre partie, la ville est vue comme un ennemi potentiel.

Les femmes dans ce western

A présent que ce début de film a été observé, arrêtons nous un instant sur les femmes qui composent ce western. Alors que l’on voit une pluralité d’hommes, cette ville semble presque dénuée de femmes. Effectivement, il n’y en a que deux. Pourquoi sont-elles si peu nombreuses ? Quels liens entretiennent-elles ?

Les deux femmes sont Callie Travers, dont nous venons de voir la présentation, et Sarah Belding, qui apparait deux séquences après la dernière que nous avons analysée, lorsque le cowboy va chercher un lit. Sarah Belding est la femme du gérant de l’hôtel. Sarah se présente d’emblée à l’opposée de Callie, car elle n’a alors pas spécialement envie de coucher avec ce cowboy étranger, au début du film. Lorsqu’il lui demande pourquoi Callie fait-elle tant de raffut à cause du ‘viol’ qu’elle a apprécié, elle lui répond : « parce que vous n’avez pas réitéré. » Ceci signifie qu’elle analyse, comprend et connait les autres personnes de la ville, en plus de gérer un hôtel, lors de l’absence de son mari. Elle est donc responsable. L’opposition qui se fait entre elles tient sur le rapport au sexe : une fille ‘facile’, qui le fait passer avant tout, et une femme respectable, qui fait passer son travail avant son plaisir.

Dans le film, Clint Eastwood bénéficiera des grâces de ces deux femmes, mais pas au même moment, et pas dans les mêmes conditions. Comme nous l’avons vu, il prend Callie pour la première fois dans une grange, où il la viole avant qu’elle accepte de le conserver en elle. La seconde fois qu’elle lui offrira ses grâces, ce sera après un dîner à l’hôtel, dans la chambre du cowboy. Elle en sortira avant que ladite chambre ne soit littéralement détruite par des hommes. Sarah Belding était la serveuse, lors du repas qui a lieu entre le cowboy et Callie. Elle parait un peu irritée de jouer ce rôle. Cependant, elle ne peut pas ne pas noter que Clint Eastwood traite Callie comme une ‘lady’. Aussi, à partir de ce moment, elle peut se laisser à lui, puisqu’il a des manières. C’est pourquoi juste après que sa chambre ait été brûlée, elle propose sa chambre à Clint (sous un biais dramatique qui révèle que son mari est un trouillard). A l’intérieur de la chambre a lieu une petite rixe, initiée par Sarah, afin de comprendre si oui ou non, le cowboy veut la violer. (la réponse est non), et elle finit par coucher avec lui.

Nous sommes proches de la fin du film, où Callie se fera houspiller par les brigands qui reviennent, quand Sarah décidera de quitter cette ville. Ces destins opposés (Callie restera définitivement en ville) montrent clairement l’évolution du concept du personnage féminin qui englobe ses deux entités : soyez responsable, et ne cédez que par amour sincère – Hollywood est conservateur. Cette étude, sur les caractères féminins, n’est qu’une petite partie du matériel que l’on peut analyser dans ce film.

L’étude de ses deux personnages montre deux choses. Tout d’abord, comme le précisait Thomas Shatz dans les années 60, le western est un genre « défini » : un lieu, un héros solitaire qui bouleverse l’ordre des choses, et qui le quitte bouleversé. Le héros est un personnage n’évoluant pas dans le cas du film qui nous intéresse, par contre, à peu près chaque personnage (et chaque entité représentée) évolue. Clint Eastwood quitte le village, et rien ne peut plus être comme avant. Ensuite, par rapport au genre du western, qui a beau être destiné à un public avant tout masculin, du moins à l’époque, et où les femmes étaient de mœurs plutôt légères, cet exemple montre bien que bien qu’elles se laissent toutes deux dans ce film passer sur le corps volontairement par plus d’un homme, jusqu’à montrer à son mari qu’elles le trompent, toutes ont une fonction par rapport à ce que dit l’ensemble du film.

Pour finir, voici le trailer :


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J'ai étudié précédemment Gran Torrino à l'adresse suivante :

mardi 5 octobre 2010

Easy Rider

Easy Rider

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Un film de Dennis Hopper,
écrit par Peter Fonda, Dennis Hopper et Terry Southern

Easy Rider conte l’histoire de deux hommes qui parcourent les Etats Unis à motos, partant de l’état de Californie pour celui de la Nouvelle Orléans, afin de participer au carnaval qui y a lieu. Ils ont un peu plus d’une semaine pour faire leur trajet.

Présentation des protagonistes Wyatt et Billy

Les deux protagonistes sont Wyatt (interprété par Peter Fonda) et Billy (Denis Hopper). Ils sont tous deux très différents, pour ne pas dire opposé. En fait, ils représentent chacun un des deux états d’esprit qui divisent les motards. Les costumes et les motos ne sont pas les mêmes, dans une optique certes de différencier les deux personnages, mais aussi de les caractériser.

La différence entre les motos (toutes deux des Harley-Davidson Panheads Choppers 1951) existent. La première raison à cela est que Dennis Hopper ne la conduit pas aussi bien que Peter Fonda, qui, lui, est un vrai motard. Il s'est sont donc permis des modifications plus poussées, chopperisations avec le customisateur Tex Hall.

« La Captain America est un chopper comme on en n'avait encore jamais vu, même en Californie. Personne à l'époque n'avait construit une Harley chopperisée, équipée d'une fourche rallongée de 12 pouces (plus de 30 cm) et d'un angle de chasse de 42°. »[1]

Cependant, cette différence, due à la base à un problème de conduite, est exploitée. Sur la moto de Wyatt « Captain America », est peinte un drapeau américain, drapeau repris au dos du blouson noir de Peter Fonda. Le conducteur est dans une position qui lui force à se montrer relaxé. Physiquement, il a du charisme, c’est un beau gosse : c'est l’archétype du héros américain. Son nom vient de Wyatt Earp, célèbre marshal de Tombstone ayant prit part à la fusillade de O.K. Corral, qui a donné lieu à plusieurs Westerns. Par suite, ce sera son histoire plus que celle de Billy que l’on va suivre.
Wyatt est quelqu’un de posé qui cherche à se ressourcer, à recommencer quelque chose lorsqu’il aura retrouvé une identité (nous reviendront plus en profondeur sur ce point dans la seconde partie de l’exposé). C’est celui qui lorsqu’il ne conduit pas se met à réfléchir, tandis qu’il est calme en conduisant. Il trouve donc son plaisir dans la conduite : c’est le chemin qu’il fait (effectif comme intérieur) qui lui donne une raison de le faire, et non les résultats qu’il pourraient en tirer. Les différentes réponses à son interrogation profonde de recherche d’identité ne lui plaisent pas tant que les panoramiques et la magie de l’instant sur la route.

A l’inverse se trouve Billy, sur la seconde moto. Il est habillé comme un « natif ». Billy, ainsi nommé en référence à Billy the Kid, est le jouisseur du groupe, celui qui essaie à chaque arrêt de rencontrer une fille, et plus si affinités. Sa moto est plus classique : ceci le positionne de façon plus traditionnelle, courbé vers l’avant. C’est aussi un style et un caractère : il veut être plus rapidement que Wyatt au bout du chemin. Il ne semble guidé que par ses pulsions, essayant à tous prix de séduire l’amie (disons) du hippie anonyme, avant que ce soit cette dernière qui se propose à lui, ou choisissant d’aller au bordel de luxe dont leur a parlé George. Mais il a les pieds sur terre, et n’arrête pas, comme une bonne conscience de Wyatt, de demander qui ils sont aux deux personnes qui montent avec lui. Le hippie ne veut plus de nom, et si Wyatt ne lui en demande pas plus, Billy cherche sans succès une réponse : il n’obtiendra rien de plus précis que « je viens d’une ville. » Il protège aussi Wyatt, ou du moins son sommeil, au travers de ce qui pourrait dans un premier lieu ressembler à un mouvement d’humeur, lorsqu’il apostrophe George qu’il ne connait pas encore dans la prison.

Cette opposition entre les deux protagonistes se retrouvait déjà dans les romans de la « beat génération », notamment dans Sur la route (On the road, 1959) de Jack Kerouack. J’y reviendrais en seconde partie.

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Je souhaite à présent, avant d’aborder le film dans son genre, faire un bref historique de « la fabrication » de cette fiction. Tout d’abord, le tournage a commencé en 1968, alors que l’âge d’or d’Hollywood était révolu. Les studios, notamment la Columbia, distributrice de ce film-ci, cherchaient à faire revenir les spectateurs dans les salles. Pour ce faire, ils ont choisi de laisser leurs chances à de jeunes cinéastes qui sortaient juste de leur formation. Ainsi, Hopper c’est-il retrouvé à la tête de ce film. La légende raconte qu’il était très mégalomane, et que les studios qui l’ont employé l’ont envoyé tourner des scènes durant le carnaval à la Nouvelle Orléans, afin de le tester. Au retour, les studios auraient été dépités… bien que cette séquence n'ai aucun problème pour s’insérer dans le film. Ensuite, pour le tournage du reste du film, le scénario succinct laissait parait-il une grande part à l’improvisation. Cependant, à mon sens, le film est très bien structuré (ce qui fait sa force, encore de nos jours). La présence au scénario de Terry Southern (Docteur Folamour (1964), Barbarella (1968)), scénariste chevronné donc, ne doit pas y être pour rien. De plus, la présence de Jack Nickolson n'est pas anodine, cet acteur n’est pas étranger aux films de motards Biker films », voir en seconde partie une définition de ce genre), puisqu’il a déjà joué dans Hells Angels On Wheels et Psych-Out (1967, 1968, tous deux de Richard Rush). Enfin, la musique rock’n’roll inondant déjà ce type de film, les studios n’ont donc pas pu être surpris de voir un film de ce type…

Par contre, ils ont pu être horrifiés par la version de quatre heures et demie montée par Dennis Hopper. Afin de réduire le temps du film, le studio envoya Dennis Hopper en vacance au Mexique, et remonta le film pour qu’il ne fasse plus qu’une heure et demi, la version que nous voyons désormais. Pour ancrer son film dans son époque, et parler de ce fait au spectateur, Dennis Hopper avait eu l’idée d’utiliser des musiques qui existaient déjà, plutôt que de demander à en composer de nouvelles : Easy Rider est le premier film à utiliser ce procédé, repris par la suite.

Cependant, avant d’être diffusé, le film a été vu par les pontes du studio et a été considéré comme un film « mal fait », « mal tourné. » Pourquoi ? Parce que le film n’est pas exempt de faux raccords, par exemple. De plus, à Hollywood, la caméra se doit d’être invisible. Mais lorsque dans les contres jours, il y a la diffraction de la lumière sur les lentilles de la caméra, ceci la montre (voir l’image ci-dessous). Mais tout ceci n’effrayera pas le public qui est venu en masse voir le film. Cette fiction qui n’avait couté que 345 000 $ rapportera 1,5M$, soit plus de trois fois plus ! Malgré les réticences du studio, le pari de ramener les spectateurs en salle était gagné.


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Easy Rider fonde le genre du « road movie ».

Des films de routes existaient déjà auparavant, mais on ne les a classifiés dans ce nouveau genre à la lumière de ce film. Sans Easy Rider, des films tels Les voyages de Sullivan (Sullivan’s Travels, Preston Sturges, 1942) ou Voyage à deux (Two for the Road, Stanley Donen, 1966) n’auraient probablement jamais été regroupés. Mais Easy Rider n’est pas non plus le seul film à créer le genre de toutes pièces : chaque genre est créé non pas par un film, mais une constellation de films sur un temps relativement court. Bonnie and Clyde (Arthur Penn) est sortit en 1967, et en 1969, la même année qu’Easy Rider, sort aussi Les gens de la pluie (The rain’s People, F. F. Coppola).

Auparavant, étaient sorti plusieurs « bikers films », film de motards peu diffusés de ce coté ci de l’atlantique : nous connaissons surtout de ce genre le film L’équipée Sauvage (The Wild One, Laslo Benedek, 1953), avec Marlon Brando : il est beaucoup moins isolé que l’on pourrait le croire. Souvent, ces films étaient produits par de petits studios avec peu de budgets : pire qu’une série B, c’était plus de l’ordre de la série Z.

Le synopsis d’Easy Rider diffère sensiblement de celui d’un film de motard traditionnel (par exemple, celui de Hells Angels on Wheels (Richard Rush, 1967) : Un pompiste trouve la vie plus excitante après avoir rejoint le groupes de hors la loi des Hells Angels). On comprend que dans Easy rider, les scénaristes ont ajoutés la magie de l’instant, et la construction d’un « moi », donc la recherche d’une liberté, celle de Wyatt.

Cette recherche est plus profonde que dans Hells Angels on Wheels, qui pour sa part s'apparente plus à une suite de sketches. Ainsi, en plus du voyage physique c’est en fait le voyage intérieur que l’on suit.

A côté de ce genre de biker films, il reprend plusieurs courant de la beat generation. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, beaucoup de personnes ont souhaité revenir à leurs origines. On en retrouve des traces dans la littérature : le plus célèbre roman de Jack Kerouac, Sur la route (On the Road, 1959) a vu son premier jet s’écrire, comme le dit la légende, en trois semaines en 1951, avant une longue réécriture de six à huit ans. Ce texte, paru sur les bancs des librairies Américaines au même moment que le début de la guerre du Vietnam, a contribué à créer cette beat generation. L’ouvrage présente un couple de personnes, Dean Moriarty et Sal Paradise, deux hommes qui errent dans les Etats Unis, paumés dans cette Amérique d’après guerre. Ils font eux aussi (ou, devrais-je dire, en premier) une réelle recherche intérieure, Sal recherchant un père dans le personnage de Dean afin de se donner une nouvelle origine. Easy Rider est contemporaine à la guerre du Vietnam, mais c’est toujours cette « grande et sainte Amérique encore préservée des hommes » décrite par Jack Kerouac que cherchent à trouver Wyatt et Billy, sur fond de Rock’n’roll.

Du fait de ce voyage intérieur, le film est très structuré et devient un film à thèse. Les lieux dans lesquels ils s’arrêtent sont éloquents des différentes étapes de la construction du 'moi' : dans l’ordre, une fois qu’ils sont à moto, ils s’arrêtent chez un cowboy, puis des hippies, passent par la case prison, puis au restaurant dans un petit village, dorment à la belle étoile, vont au bordel, et enfin au carnaval de la Nouvelle Orléans, avant de finir perdant dans un duel sur une route contre un camion.

Déjà une logique apparait : le cowboy vit de la terre, ainsi que les hippies, mais ces derniers ont peur de ne pouvoir survivre à une trop forte sécheresse, alors que le cowboy vivait parfaitement bien, avec une grande progéniture. Le cowboy, c’est la liberté d’une autre époque, et malgré ce qu’il lui dit, Wyatt ne peut rester là. Il y a ensuite chez les Hippies quelque chose qui empêche Billy de s’y sentir bien, et malgré les apparences qu’ils se donnent, ils sont plus « jouissance » que pensant franchement à leur avenir, ce qui rebute aussi Wyatt. Il est normal qu’un tel premier itinéraire ne les mène nulle part ailleurs qu’en prison, où ils rencontrent Georges Hanson (Jack Nicholson), un avocat un peu trouble. Celui-ci leur propose de les rejoindre pour aller avec eux jusqu’à la Nouvelle Orléans, en passant par un bordel de luxe. George doit prendre un casque et il choisi aussi de prendre aussi un pull-over d’étudiant (ou de lycéen) : il propose un moyen de retrouver la liberté, par la jeunesse. Mais le trio fait peur, et finalement, Georges finira tué lorsqu’ils passeront la nuit à la belle étoile, les blessures que Wyatt et Billy accusent étant relativement superficielles. De nouveau en duo, Billy décide d’aller avec Wyatt là où voulait les emmener Georges : le Bordel de luxe. Ce sera au tour de Wyatt de ne pas s’y sentir bien. Après le problème de Billy dans la communauté hippie où l'amour était libre, mais où il ne s’y sentait pas bien, c’est au tour de Wyatt dans ce lieu où l'amour est la règle. En l’occurrence, si Billy jouit sans entraves, son collègue n’accepte pas le principe du bordel, où l’on paie pour le plaisir donc où la notion de liberté de choix (de son partenaire) est nulle. Finalement, les protagonistes sortent au carnaval avec les deux filles. Et c’est là que l’on verra Wyatt s’épanouir de façon définitive. Mais cette liberté, durement gagnée, ne leur servira à rien, car repartant en moto, ils croisent un camion qui les tue de façon totalement gratuite.

Au-delà de la reconstruction d’un moi et de la recherche d’une liberté, toute une réflexion est faite l’intérêt de cette liberté. Le dialogue avec Georges autours de la marijuana qu’ils s’échangent en est révélateur : « on se dit libre, mais dès qu’on croise quelqu’un, [comme eux] qui est vraiment libre, ça fait peur. » Si l’on replace la phrase dans son contexte, on note plus précisément qu’ils font peur aux personnages de sexe masculin, assez âgés. Car dans la scène précédente, un groupe d’étudiantes aurait bien aimé faire un tour sur l’une des deux motos. En l’occurrence, ils ne faisaient pas peur, mais ils attiraient. Au final, faisant peur à ceux qui ont une vie réglée (donc dépositaire de l’ordre – l’un d’eux est shérif) et intrigant des étudiantes tout juste majeures, ils ne font pas peur mais ils fascinent (au sens propre du mot : mélange d’attirance et d’effroi). Et c’est donc par mesure de sécurité qu’on essaie de les éliminer.

Enfin, parmi les symboles qui permettent à Easy Rider de fonder le road movie, il a aussi fallu aux scénaristes d’éliminer une mythologie pour en créer une nouvelle. Le choix fait dans ce film est de se ressourcer pour retrouver un « moi ». Aussi ont-ils choisi de reprendre de façon parodique les symboles d’un autre genre où les personnages se recherchent de façon binaire : le western.

Il me faut ici ouvrir une petite parenthèse sur ce genre défini de façon légèrement différente des deux cotés de l’atlantique, afin de vous faire comprendre plus précisément les raisons de ce choix. De notre coté de l’Atlantique, le Western n’est qu’un genre pris parmi d’autres ; mais du coté étasunien, le western, c’est des légendes qui racontent la création et l’union des états de leur continent. Reprendre de façon parodique le western, c’est reprendre les codes « originels » des Etats Unis pour en présenter d’autres à la place. A la place du massacre d’O.K. Corral, en reprenant la mouvance de la contre-culture, le film propose le trio : sexe, drogue & rock’n’roll.

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Sex, drogue & rock’n’roll. Is that all, folks ?

Vous voulez écrire un road movie, dans la mouvance d’Easy Rider, Les gens de la pluie, Bonnie and Clyde… bref, de la grande époque. Quels en sont les thèmes récurrents ?

- Condition sine qua nonne : il vous faut des grands espaces, avec, au milieu, une route.
- Ensuite, il faut que les protagonistes remplissent deux conditions : ils doivent utiliser des moyens mécaniques pour se déplacer, et être proche de ses derniers. Aux volant d’une moto, ou d’une voiture, mais pourquoi pas aussi d’un bus (non, Speed n’est pas un road movie mais un huis clos) ou d’un train (à condition, toujours, que le protagoniste le dirige directement). Il y a dans ces road movie une notion, beaucoup moins présente de nos jours, d’une jouissance mécanique, ou d’une jouissance de la mécanique. Comme si la liberté était liée à cette mécanique que l’on contrôle. On retrouvera cette interrogation dans le cinéma américain dans des films plus tardifs, tels Terminator et Terminator II, ou encore Robocop, mais l’interrogation a évolué, et sort à ce moment du cadre du road movie. Revenons à nos routards. Parallèlement à ce lien entre l’homme et la machine, il faut que parallèlement au trajet physique effectif, il y ait un voyage intérieur fort vers une liberté ou une rédemption (bien sur, tous les bons films, quelque soit le genre, présentent ce schéma…).
- Le long de la route, le ou les protagonistes doivent rencontrer une diversité de communautés qui lui (leur) permettent de se ressourcer. Au mieux, il faut le/les mettre face à plusieurs niveau de développement de nos sociétés : l’itinérante, le village, la ville…
- Enfin, il faut que l’histoire soit tragique. Comme elle l’est dans les road movies déjà cités, elle l’est aussi pour, par exemple, Thelma et Louise (Ridley Scott, 1991).

Bien sur, les filles, la drogue ou le rock font partie intégrante de cette façon de penser. Mais souvenons nous que cette notion est ancrée dans l’époque des 70s. Déjà dans Thelma et Louise, les thèmes sont abordés de façon différente (outre le fait que ce soit un couple d’héroïnes et non plus d’héros). Ce n’est par exemple plus tout à fait le même rock’n’roll déchainé, et, d’après ce dont je me souviens, les drogues ont disparues.

Pour finir, voici le trailer original (non sous titré) :


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J’ai déjà traité du road movie Les gens de la pluie à l’adresse :

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[1]http://www.planete-biker.com/famous-bike2.php

samedi 2 octobre 2010

Des hommes et des dieux

Des hommes et des dieux

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C'est un film français réalisé par Xavier Beauvois, écrit par X. B. et Etienne Comar, produit par Why Not Production, et ayant reçu le grand prix du jury à Cannes 2010. Ce film a été produit par la même société que celle qui a produit Un prophète qui a reçu le grand prix à Cannes l’an passé, en 2009.

La projection de Des hommes et des Dieux était précédé d’un court métrage composé d’un plan séquence en léger travelling arrière (à Poitiers). Cependant, ce film n’a rien à voir avec le long qui le suit : il raconte l’histoire d’un accouchement raté dans un désert.

Des hommes et des dieux conte l’histoire tragique d’une communauté de moines cisterciens dans l’Algérie des années 1990. Il est basé sur un fait réel qui a eu lieu en 1996, en pleine guerre civile Algérienne : la mort violente de sept moines sur les neuf alors présents dans le monastère de Tibhirine (ou Tibéhirine selon la prononciation). Le film ne montre pas la mort des moines, et ne cherche pas à comprendre les causes de la guerre civile Algérienne : il se concentre sur la vie et surtout leur choix difficile de rester là-bas.

Dans un climat de bouleversements majeur, doivent-ils chercher à préserver leur vie ou leur piété ?

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Le film se concentre donc sur leur quotidien, et sur l’évolution de leur perception quant à leur foi ainsi qu'à l’intérêt de leur travail. Le début du film représente un enjeu de taille, car il a fallu montrer que ces moines étaient parfaitement intégré à la société, et pas du tout en butte vis-à-vis de l'islam.

Xavier Beauvois et Etienne Comar ont choisi de présenter d'abord leur travaux religieux, avant de les plonger dans la vie du village. Le film commence donc par la prière et la lecture. La prière est réalisé de façon totalement anonyme. Les moines nous tournent le dos et chantent ; aucun n'a plus d'importance que les autres. Même le prieur nous tourne le dos. Puis, ils ont encadré la séquence de la lecture par deux personnages : le frère Luc (Michael Lonsdale) et le prieur Christian (Lambert Wilson). Frère Luc s'habille pour sortir au petit mâtin, et le prieur interroge le Coran en le comparant à la règle de Saint Benoit (St Benoit est le fondateur des moines cisterciens), les deux ouvrages trônant à la même enseigne sur le bureau.

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Ceci présenté, les auteurs montrent ensuite le lieu dans lequel est cette communauté : l'Algérie, et plus précisément, Thibirine ou "Thibérine". On suit des personnages du village, oubliant un peu les prêtres : l'une des réflexions, faites après un travelling qui montre la beauté des paysages est de "ne pas s'endormir devant", à un homme qui la regardait (comme nous spectateur). Ceci, avec d'autres petites phrases et présentations, nous montre que les hommes d'ici aiment leur pays et leur village - et en sont fiers (il y a de quoi). Plusieurs groupes d'hommes et de femmes présentés, nous revenons à frère Luc et à son occupation : c'est le médecin de la comunauté cistercienne, qui soigne gratuitement qui en a besoin, sans aucune distinctions d'aucune sorte. En l'occurence, il soigne une jeune fille, et donne, à la fille comme à la mère, de vieilles paires de chaussure fermées qui remplacent celles, trouées, qu'elles possédaient.

Un plan montre un moine sur un tracteur. Une nouvelle séquence montre frère Luc en train de vendre du miel, réalisé à l'abbaye, tout en se renseignant sur des problèmes que rencontre ici une personne qui n'a pas de photographie d'elle (je ne sais plus à quel propos). A la fin de cette séquence, la comunauté des moines est intégré à la plus grande communauté du village, tant et si bien que les moines se retrouvent chez le maire du village (ou l'Imam), et sont invités à un mariage. Ils répondent positivement à l'interrogation, et participent au rituel musulman. A l'issue de ce mariage, les moines sont donc définitivement intégrés.

Les auteurs peuvent alors mettre en place un danger, en montrant que des extrémistes s'attaquent à un groupe de personnes en train de construire une route, et qu'ils tuent seulement ceux qui, dans ce groupe, ne sont pas berbères. De cause à effet, la vie des moines est soudain mise en danger.

L'interrogation du film se fait alors jours : faut-il sauver sa vie en quittant le monastère vers un lieu plus sûr ou faut-il sauver le village en restant dans le monastère et en continuant d'effectuer les tâches diverses (travail de la terre, premiers soins) qui lui permet de survivre ?

C’est ainsi que durant les deux heures de films qui suivent, l’interrogation racinienne peut s’exploiter, se développer entre les différents membres de cette petite communauté : chacun a ses raisons de suivre ou de se mettre en bute face aux obligations de Saint Benoit, exprimés par le prieur. Aucun n’est épargné : tous les moines sont décrits avec chaleur. Le premier jet du scénario reprenait la structure de la série Lost créée par J. J. Abrams, et décrivait par flash-back la vie antérieure de chacun des moines, version qui n’a pas été retenue pour le film. Xavier Beauvois, à qui le scénariste avait confié son histoire, voulait éliminer le coté épique du récit, pour se concentrer sur la tragédie vécue par ces moines.

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Ce fut un succès : depuis deux semaines de diffusion, ce film est à la plus haute place du classement hebdomadaire, le film le plus vu. Il vient d'être détroné par Resident Evil (source France Inter)

Pour finir, voici le trailer :


Bande Annonce Des Hommes et des Dieux de Xavier Beauvois

lundi 23 août 2010

Inception

Inception

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Film scénarisé et réalisé par Christopher Nolan

Inception est un thriller d’anticipation qui se déroule dans un futur proche, où il est possible de prendre des données en « hackant » les rêves. En contrepartie, les gens ont des défenses psychologiques, des « pares feu » si l’on compare le cerveau à l’informatique et à l’internet, pour éviter d’être hackés. Plus difficile, on peut placer une idée au cœur d’un rêve pour que la personne croie qu’elle l’a eu sans aide. Ce procédé est appelé « inception ». Cobb et son équipe sont spécialisé dans les opérations de hackage de rêve, et on leur impose d’effectuer une inception.

Ils doivent aller au plus profond des rêves de Robert Michael Fisher Jr. Mais ce que Cobb trouve, ce sont ses propres problèmes avec sa femme décédée.

L’histoire est très bien écrite. Le film ne se cache pas de proposer un aspect « déjà vu », reprenant les thèmes de Matrix et Dark City, entre autres, sur la pluralité d’environnements, la non-réalité de ce qui est perçu comme réel, et du jeu vidéo (comme la séquence avec la forteresse dans la neige). Mais où ces films avaient une logique, une obligation de réalisme, pour contrôler un peuple, ici, nous sommes explicitement dans un enchevêtrement de rêves d’une seule personne.

Pour contrôler cette personne, il faut que l’environnement soit aussi réaliste que possible, pour que le rêveur ne puisse penser qu’il rêve, nous disent Cobb et sa compagnie. Le problème de base avec ce postulat est que l’on perd tout l’onirisme du rêve, soit toute l’activité mentale automatique faite de vision de scènes animées.

Comprenons pourquoi, alors qu’il avait cette possibilité onirique, Christopher Nolan l’a écarté. Il faut étudier le postulat du paragraphe précédent. Pour ce faire, il faut commencer par voir comment l’équipe de Cobb construit du rêve à l’image de la réalité, avant de voir les procédés de défenses psychologiques du personnage hacké.

Il faut imaginer tout d’abord plusieurs niveaux de rêve : c'est-à-dire que le rêveur peut être en train de rêver dans son propre rêve.

Le processus : Dominique Cobb (Leonardo DiCaprio) est le hackeur, l’extracteur. Il est aidé par Arthur (Joseph Gordon-Levitt), qui organise leur avancée, afin que le hackeur ne se perde pas dans le rêve dans lequel ils se trouvent. Enfin vient l’architecte, Arianne (Ellen Page), qui construit le rêve et les niveaux de rêves. L’équipe amène le rêveur (appelons-le client) et tout son subconscient dans le rêve d’un autre, créé par l’architecte, et géré par l’organisateur. Les personnages composant l’équipe de Cobb ont chacun un porte bonheur qui leur permet de savoir si ils sont ou non dans un rêve. Par exemple, Arthur a un dé truqué, et est le seul à connaitre les poids du dé et sur quelle face il finit. Arianne s’est construite une pièce d’échec, un fou. Cobb a une toupie.

Ce monde de rêve est géré par un principe ressemblant au jeu vidéo : on peut ressentir de la souffrance, mais lorsqu’on meurt, on se réveille (game over, on sort du jeu).

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Le subconscient n’est d’abord pas conscient de sa présence, c'est-à-dire qu’il ne sait pas qu’il existe dans un rêve lorsque ce dernier débute. Puis, alors que le hackeur s’approche du message qu’il cherche soit à récupérer soit à placer, le subconscient se rebelle contre ce personnage. C’est parmi ce subconscient que l’onirisme peut apparaitre : or, il n’apparait pas. Le subconscient reste réaliste. Fisher a par exemple des protections militaires, représentées par des trains blindés ou des hommes armées en voiture.

Or, en comparant avec les rêves dont je me souviens, j’en ai fait de monstres, ou des rêves où je côtoyais des stars, ou encore des rêves « intimistes ». En bref, une pluralité de rêves où je ne savais que je rêvais uniquement lorsque je me réveillais. À supposer que je sois dans le rêve d’un autre, ce rêve n’empêcherait pas mon subconscient de créer à nouveau ses monstres, ses stars ou cette intimité.

Hélas, cette piste ci n’a pas été exploitée, hormis dans la découverte du monde des rêves d'Arianne. Souhaitant rester dans le thriller, il ne pouvait pas y avoir de personnages sortant de l’ordinaire. On comprend dès lors pourquoi Christopher Nolan avait d’abord souhaité faire un film d’horreur, la notion de l’exploration d’un rêve au sein du cerveau d’une personne appelant cette idée. Mais à cette notion s’oppose celle de l’enquête malsaine (mettre une idée dans un crâne sans que celui-ci soit au courant est on ne peut plus malsain, comme on le conçoit, quel que soit cet homme), plus proche du thriller. On comprend alors le glissement du projet durant les dix ans qu’ont duré sa conception.

Ceci dit, il y a techniqement de très belles séquences, notamment celle du combat en apesanteur ou les vues des limbes (qui rappellent les îles du sud du japon bâties d’immeubles). Mais, comme l'onirisme n'est pas plus présent, cela ressemble ici à du Kubrick de 2001, l'odyssée de l'espace... mais pas le passage onirique final de la porte de l'espace.

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De fait, ce film reflète bien l'ambition des blokbusters en général. Sous un couvert innovant (l'exploration de rêves) il est divertissant sans devenir trop complexe. Il n'est pas si loin du concept de la série Alias de J.J. Abrams : une espionne se déguise et fait le tour du monde pour trouver une personne et l'éliminer. Ici, le "tour du monde" est dans l'onirisme.

Tout est bien précisé, le scénario reste donc linéaire, malgré cette avancée dans l'inconscient.

Pour finir, voici le trailer :


INCEPTION - Bande -annonce VO

vendredi 16 juillet 2010

Acteurs scénariste Français : le ressac de la nouvelle vague ?

Les acteurs scénaristes français... enfin le ressac de la nouvelle vague ?


L’express a fait paraître le 21 juin un article de Christophe Carrière, le renouveau du film « made in France »

Partant d’un constat il réfléchit sur l’état du cinéma français. L’Arnacœur[1], Le Petit Nicolas[2], et Neuilly sa mère ![3] sont trois des cinq plus gros succès des 12 derniers mois, et ont été imaginé par… les producteurs. Ce sont eux qui ont ensuite contactés des scénaristes d’une part, puis des réalisateurs d’autre part. Le ressac de la nouvelle vague aurait-il disparu ?

Ce qui apparait ici nouveau est ancré depuis des dizaines d’année outre atlantique. On se souvient encore de l’interview de Clint Eastwood qui disait avec ironie ne pas comprendre la question qu’on lui posait : « pourquoi n’écrivait-il pas ses scénarii pour les tourner, plutôt que tourner ceux écrits par d’autres ? »

Il y a deux ou trois mois, Télérama avait publié un article sur la Femis[4], qui montrait que les scénaristes sortaient et se mettaient à filmer, après avoir trouvé un producteur pour leur scénario développé sur un an (ou allait écrire des petites choses alimentaires, type Plus belle la vie), tandis que les réalisateurs pointaient au chômage.

Alors que l’article de Télérama proposait insidieusement que les scénaristes devaient réaliser ce qu’ils avaient écrit, cet article jette un pavé dans la marre. Donnant la parole à Yann Zenou, un patron de Quad, (L’Arnacœur) il explique que d’une part, Canal+, pourtant premier financeur de films français, n’injecte plus autant d’argent dans les films, de même pour les chaines hertziennes. Afin d’arriver à achever un bouclage financier d’un film, les producteurs doivent imaginer des histoires qui puissent exister auprès d’un public. "Entre les 15 films à l'affiche chaque semaine et les DVD qui débarquent quatre mois après, il faut faire au spectateur une proposition forte qui lui donne envie d'aller en salle" conclue-t-il.

Le scénariste ne changera pas de statut : il restera celui qui invente une histoire à partir d’un propos venant ici du réalisateur ou là du producteur, mais il n’aura plus l’aboutissement en ligne de mire : son interprétation de ce qu’il aura imaginé.

Si le scénariste existe indépendamment, cela veut aussi dire que le réalisateur n’a plus besoin d’être un auteur pour tourner. Il ne perdra pas pour autant son statut d’artiste : mais des gens comme Pascal Chaumiel peuvent désormais se présenter comme technicien de la narration, incapable d’écrire une histoire mais à même de lui donner vie.

C’est finalement un grand pas en avant pour les scénaristes qui veulent rester scénariste, mais écrire pour le cinéma, car chacun sait que généralement, à la télévision, le réalisateur est pris comme un technicien. Ce problème existait dans le cinéma uniquement, et est né après le fameux article de François Truffaut une certaine tendance du cinéma Français.

À suivre ?


[1] Réalisé par Pascal Chaumeil, scénario de Laurent Zeitoun, Jeremy Doner et Yohan Gromb produit par Quad.

[2] Réalisé par Laurent Tirard, scénario de Laurent Tirard, Grégoire Vigneron (et Alain Chabat en plus pour les dialogues), produit par Eric Jehelman et Geunevieve Lemal.

[3] Réalisé par Gabriel Laferrière, scénario de Philippe et Marc de Chauveron et Gilles Laurent, produit parDjamel Bensalah et Isaas Shary.

[4] Fondation Européenne des Métiers de l’Image et du Son, grande école parisienne, seule école publique française avec l’école Louis Lumière, comprenant sept départements : réalisation, scénario, image, son, décors, montage, production. Nous nous intéressons à ceux de réalisation et de scénario.

lundi 28 juin 2010

L'illusioniste

L’illusionniste

D’après une histoire originale de Jacques Tati
Adaptation Sylvain Chomet

Les magiciens n’existent pas

résumé

L’illusionniste raconte l’histoire d’un magicien sur le déclin, qui va là où il peut trouver un peu d’argent. Arrivé en écosse, son numéro séduit une jeune fille qui le suit jusqu’à Édimbourg. Arrivés là, il fait l’illusionniste et d’autres petits travaux pour acheter à la jeune fille tout ce qu’elle souhaite. Elle tombe finalement amoureuse d’un jeune gars, et l’illusionniste, n’arrivant plus à subsister, rentre en France sans la prévenir.

Impressions

C’est un très beau film, avec un compositing très réussi. On voit clairement le travail de l’image. Il est regrettable que l’histoire ne suive pas. Pourtant, Sylvain Chomet n’est pas un débutant ! Il a écrit et réalisé le court métrage d’animation la vieille dame et les pigeons, ainsi que le long métrage d’animation les triplettes de Belleville, qui sont dynamique et plein d’inventivité. L’image est ici aussi pleine d’inventivité ; mais l’histoire…

On se demande quand ça se décide à partir, et ça ce fini avant même que les personnages ne soient en place. Entre temps, on suit un « M Hulot » ou un « Jacques Tati » sur le déclin, auquel se raccroche la jeune fille, Alice, à qui il achète tout ce qu’elle souhaite.


Que nous révèle le fond de cette histoire ? Plusieurs polémiques se sont greffées au film. Tati aurait écrit ce scénario pour sa fille non reconnue Helga Marie-Jane Shiel. Les petits fils jurent que Chomet a « saboté le script, en cachant les intentions troubles de Tati avec sa fille »[1] Si tel est le sujet du script, on comprend que Tati se soit arrêté au milieu, sans l’avoir fini. L’atmosphère de Tati étant bien présente, cependant, Sylvain Chomet n’a pu trop toucher au script original de peur de le dénaturer, transformant simplement Prague en Édimbourg. Seulement, cette absence de parti pris est sensible par le spectateur, qui se repaît de la beauté esthétique et plastique de l’œuvre, mais qui n’arrive pas à donner une logique à l’histoire, trop longue, trop parsemée, et pas suffisamment achevée.

Le scénario n’est pas abouti parce qu’on a du mal à saisir les objectifs de tous les personnages. Certes, M. Hulot veut gagner de l’argent pour vivre, mais Alice ? Pourquoi se colle-t-elle à cet homme qu’elle ne connait pas ? Pourquoi M. Hulot la prend-il sous son aile ? Nous n’arrivons pas à percevoir la raison : pour de l’argent, pour de la magie, ou pour autre chose ? Nous pouvons rester dans le flou la durée du film et avoir une révélation finale, mais ici, lorsqu’il s’achève, le réalisateur et/ou le scénariste ne donne pas les clefs, laissant le spectateur un peu sur sa fin : Elle part avec le garçon, l’illusionniste rentre en France tout en lui laissant un message « Magicians do not exist ». Comment comprendre cette phrase énigmatique ?

Absence de parole

Tati a écrit un scénario pour Tati, muet. L’absence de parole se fait pourtant cruellement ressentir, pour des questions d’affects liés aux personnages :

Si Tati avait réalisé ce film avec des acteurs, leurs présences et leurs mimiques aurait permis d’oublier les dialogues, transformant la scène en un film muet, comme il l’a démontré dans chacune de ses productions ––– Nous sommes ici en animation.

Wall-E a tenté, avec plus de succès, de réaliser un film avec très peu de dialogues. Ce film est construit en deux temps : les deux premiers tiers se déroulent autours de problèmes entre robots non-antropomorphiques, et le dernier est emplis d’humain. Il n’est pas étonnant de voir les deux robots communiquer sans parler ; et il faut noter que si les humains ne parlent pas l’un à l’autre, au début de cette partie, ils sont noyés dans un bourdonnement de paroles.

Les deux possibilités de films sans paroles vers laquelle tend L’illusionniste prouvent tout de même que l’on a besoin d’un minimum de dialogue entre un minimum de deux être humains. Ce film ci n’est pas sans paroles, mais ils parlent ‘yaourt’, c’est-à-dire qu’entre deux ou trois borborigmes, on entend ce qui semble ressembler à un mot, français ou anglais.

Ça ne marche pas.

Les deux moments où le film muet sans dialogues marche sont ceux où l’on voit les personnages, mais, comme une vitre est placée entre eux et nous, l’image est totalement muette[2]. Dès que des scènes telle celles-ci passent, on récupère alors toute la dynamique que recherchait Tati. Si les personnages avaient vraiment parlé, ces scènes-ci encore plus fortes (mais ce n’est pas l’objectif du film).

Choix des plans

Chomet à privilégié une façon de tourner « à la Tati », c'est-à-dire comme un théâtre filmé. 400 plans composent les 1h20 de film, ce qui est peu quand on sait que les triplettes de Belleville ou tout film classique est composé de 1500 plans. Cette réduction des plans permet à Chomet de réaliser de très belles incrustations, un très beau compositing mêlant à peu près dans tous les plans de la 3D et de la 2D, sans que cela n’heurte l’œil. En contre partie, la majorité des plans sont large, c'est-à-dire qu’ils prennent la scène en pied. Ce travail aurait pu être ponctué de quelques plans rapprochés, que l’on puisse voir par exemple quelques tours de magie importants, notamment vis-à-vis d’Alice.


Conclusion

En conclusion, je ne conseille pas d’aller voir ce film pour le scénario de Jacques Tati, mais plus pour la beauté de l’image et son compositing parfait alliant la 3D à l’animation traditionnelle et les mélanges d’effets de fumée. N’y allez pas par contre, uniquement pour la toute fin ou Sylvain Chomet à fumé on ne sais quoi, les quatre derniers plans étant totalement en 3D et en mouvements, avec une caméra qui tourne autours d’Édimbourg à toute allure, ce qui détruit la beauté des décors à plat, ce plan n’apportant en plus rien à l’histoire.

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[1] http://www.cinemateaser.com/?p=3697

[2]Je vous renvoie par exemple à la scène où Hulot se fait virer du garage où il avait trouvé un travail de nuit dont je n'ai pas pu récupérer d'image.

mercredi 5 mai 2010

les aventures extraordinaires d'Adèle Blanc Sec

Les aventures extraordinaires d'Adèle Blanc Sec



Scénario et réalisation : Luc Besson
Adapté des bandes dessinées de Jacques Tardi

Le film Les aventures extraordinaires d'Adèle Blanc Sec m'a séduit, comme les 642 628 personnes qui se trouvaient à mes cotés lors de la première semaine d’exploitation [1]. Tout un public s'est retrouvé face à ce personnage extrait des bandes dessinées créées par Jacques Tardi.

Dans le film, Adèle cherche à ramener à la vie un docteur issu de l'époque de Ramses II, afin que celui ci soigne sa soeur, cette dernière oscillant entre la vie et la mort.

Luc Besson a puisé dans la mythologie de Tardi et dans une cinéphilie populaire pour écrire puis réaliser ce film. Le personnage d'Adèle fait par moment penser à Indiana Jones ou à Lara Croft - notamment lors du passage en Egypte. C'est une femme aussi douce que sarcastique, avec une grande répartie, qui, hélas, n'est pas toujours imaginative : les dialogues qui terminent les séquences sont tous drôles, mais rares sont ceux qui sont amenés par la structure même du film. C'est souvent une forme d'autoparodie qui tourne en dérision ce qui se passe, sans que cette dérision ait été construite, amenée, dans la séquence à clore.

Pour ceux qui connaissent les aventures du personnage de papier, ils le retrouvent, un peu rajeuni dans l'interprétation qu'en donne Louise Bourgoin. Luc Besson s'est amusé à écrire ce scénario, et fait partager sa joie au spectateur. Il a trouvé des astuces pour parer toutes censures.

Un exemple : celle "anti-tabac". Comme dans les albums, Adèle fume. Mais la première fois que celà arrive dans le film, en Egypte, il fait passer le message que "fumer tue" par un biais amusant : Adèle est face à son adversaire, Dieuleveut, ce dernier étant sur le point de la faire exécuter. Elle demande une cigarette et son interlocuteur lui répond : "Ce n'est pas elle qui va vous tuer." Alors qu'à l'époque, fumait représentait l'aboutissement d'une certaine virilité (c'était d'ailleurs une des raisons invoquées pour ne pas payer les femmes aussi bien que les hommes : elles, elles ne vont pas acheter de cigarettes)

Besson a fait d'Adèle un personnage plus féminin que dans les bandes dessinées, plus frais, mais son humour est hélas un peu trop formaté : il rejoint en ce sens l'une des critiques que je formulais à l'égard d'Avatar de James Cameron, il est fait pour faire rire, mais hélas, de façon parfois trop niaiseuse.

Les autres personnages qui prennent par à ces aventures - Dieuleveut donc, interprété par Mathieu Amalric, Espérandieu, Caponi ont des noms inventifs. Seulement, ceux des second couteaux du film sont clichés (Je pense à l'égyptien Aziz). Est-ce pour mettre en valeur les noms des protagonistes ? Or chez Tardi, même les personnages secondaires ont une qualité onomastique : je pense ici à Edmond Choupard, qui ouvre le film, comme l'album Momies en Folies.



Si les personnages sont tous à peu près respectés, l'histoire est beaucoup moins sombre. Si nous comparons les ambiances issues de la bande dessinée de Tardi et celles issues du film, nous notons une absence permanente du rouge brique sombre. De jour, tout est éclairé : du désert du sahara aux crieurs de Paris, des jardins de l'Elysée au parc zoologique... parrallèlement, il se passe beaucoups moins d'évènements de nuit, et là encore, aucune atmosphère est aussi malsaine que dans les albums.

J'aurais enfin, une petite critique a faire quant à la scène finale. Le paragraphe suivant en révelle les enjeux sans en dévoiler l'issue.

A ce moment, donc, Adèle et sa momie Patmosis sont entrés par effraction dans le Louvre, et Adèle veut demander directement à Ramses II de lui prêter un docteur. Patmosis, connaissant les habitudes du pharaon, conseille à Adèle de rester très "protocolaire", conseil qu'elle suit. Mais, une fois l'ancien roi d'Egypte réveillé, il se comporte d'une façon relativement peu protocolaire : il reste un chef, mais il perd hélas le coté pharaon, suite à deux "erreurs" :

La première, ce sont ces premières paroles : "J'ai relativement bien dormis" ou "Je me suis bien assoupis" Ce rapport au sommeil (sujet trivial) lorsqu'un pharaon s'éveille (réveil et lever du roi) rend cette jonction drôle, mais en contrepartie, décrédibilise sa puissance.

La seconde, c'est lorsqu'il accepte de guérir la soeur d'Adèle. Rien, dans la mise en scène des différentes momies n'indique un quelconque protocole. Là encore, ceci décrédibilise ce qu'il fait, à savoir réveiller une personne placée entre la vie et la mort.

Hormis ces légères ombres, le reste était succulent. Film français, certes, mais dynamique, joyeux et enjoué. Film populaire, divertissement et entertainement, pourquoi pas ! et au contraire !

Pour finir, voici le trailer :


Les Aventures Extraordinaires dAdèle Blanc-Sec : Bande-Annonce

[1] : « Adèle Blanc-Sec rafle la tête du box-office », sur le site Le Point, le 22 avril 2010.