mercredi 21 décembre 2011

Halloween, la nuit des masques

Halloween, la nuit des masques

 Réalisé par John Carpenter,
Scénario de John Carpenter et Debra Hill


La première séquence du film a déjà été beaucoup étudiée et commentée, rapprochée à d'autres films préexistants comme Psychose (Hitchcock, 1960). Mais au travers de l’étude de ce film – du moins, de la séquence d’ouverture – je veux montrer que Carpenter fait de l’art dit « contemporain ». 

Moi-même issu d’une école d’art, l’EESI de Poitiers (que je déconseille), j’en suis sorti avec deux convictions. La première est celle que m’ont appris les différents professeurs, à savoir que l’art est mort. La seconde, personnelle, est que l’art est bien vivant, quand bien même il représenterait sa propre mort. Il y a des artistes que j’apprécie – Ipoustéguy par exemple – et d’autres moins – comme Kunst. Je continue mon parcours à présent un parcours au sein de la faculté de Poitiers. Dans un des séminaires que je suis, nous discutons sur les figures de la disjonction. Pour le néophyte, la disjonction apparait le plus clairement dans ce qu’on appelle communément le faux raccord.

Lors de l’âge d’or d’Hollywood, la disjonction était proscrite, car le cinéma se voulait démonstratif : ce n’est pas au spectateur de penser, mais au cinéma de lui montrer comment tel personnage va du point A au point B, sans que sa traversée ne soit ponctué de quelques incompréhensions. Non que les conditions de tournages soient telles qu’il n’y avait pas de faux raccords à l’époque – la disjonction a toujours existé. Mais ces faux raccords étaient discrets.

À partir de la fin de la décennie 1960, la disjonction a connu un retour en force. A bout de souffle, Jean Luc Godard, 1968 en est un exemple clair. Mais aussi des films américains comme le méconnu Ne vous retournez pas (Don’t look Now, Nicholas Roeg, 1973 avec le jeu sur le rouge lors de l'ouverture du film http://youtu.be/NOC2jxn0re0) ou autres. À la même époque, les Etats Unis virent l’arrivée d’un courant intellectuel français (européen) : la déconstruction. C’est à cette époque que Barthes, Deleuze, Derrida et consorts ont modifié la pensée logique (notamment à partir des théories ‘‘extrémistes’’ de Nietches[1]). C’était l’arrivée du modernisme, qui voulait une mise à plat, une table rase de la production de la pensée : « détruisons ce qui a précédé pour construire quelque chose de nouveau (et de mieux). »

Puis, autours des années 1990 est apparu un autre courant, intitulé pour sa part le post modernisme, avec ses penseurs. Il ne s’agit plus de penser une destruction de ce qui précède, mais une réutilisation de ce qui précède. Par exemple, Tarantino utilise le procédé d’écriture et de montage de Bande à part de Godard, pour écrire Pulp Fiction. L’exemple n’est bien sur pas isolé, Brian de Palma n’arrêtant pas de retourner la fameuse scène de la douche de Psychose d’Alfred Hitchcock, quand Gus Van Sant va jusqu’à retourner un remake à l’identique (enfin, presque) dudit film.

Je ne me considère pas comme un post-moderne, mais ce mouvement influe sur moi comme sur tous, puisqu’il est de notre époque. En outre, j’ignore si Carpenter se considérait comme un moderne. Mais Halloween étant réalisé en 1985, il est placé obligatoirement dans cette mouvance. Ce petit historique m’a aussi servi pour expliquer que mes professeurs d’art, à l’EESI, restent finalement dans une perspective moderniste, et non post-moderniste.

Car, en art, du moins dans ces cours – et, puisque je le lis ailleurs, dans la majorité des écoles d’arts, on nous apprend non seulement à ne pas faire (après tout, l’art est mort, déconstruisons seulement) mais aussi à défendre cette anti-création. Le mouvement moderniste est devenu fort pour ça. Les textes de Buren (artiste ayant fait les colonnes éponyme place du palais royal à Paris à la fin des années 60) comme celui du catalogue d’exposition de la biennale de Lyon 2011 retranscrite par le stroumpf émergeant (http://www.schtroumpf-emergent.com/blog/2011/09/21/la-chronique-n%c2%b018/) en sont éloquents. Dans mes cours d’art, ce système de pensée, utilisant une mine de mots obscurs et de langue de bois, etc. a été nommé par certain camarades du « techno-blabla ».

Or, Carpenter propose à son film Halloween une puissante alternative. Voici comment le film commence :
 

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image 13
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Le premier plan est subjectif :

La caméra s’approche d’une maison de banlieue américaine (image 1). Deux formes sont en train de s’embrasser derrière la porte (image 2). Ces deux êtres disparaissent ensuite par une porte. La caméra contourne la maison, et s’arrête devant une fenêtre, de laquelle elle observe le salon : le garçon et la fille (16-17ans) sont bien visibles, à nouveau en train de s’embrasser sur le divan.

LE GARÇON
On est tout seul ?

LA FILLE
Michel doit traîner quelque part

Le garçon trouve et chausse un masque de clown et l’embrasse à nouveau (image 3). Elle rit, puis se lève. Elle glisse un mot au garçon celui-ci va couper la lumière. La fille, suivie du garçon, passe dans le couloir et prend l’escalier.

La caméra s’éloigne de cette fenêtre et revient devant la maison (image 4). Au premier étage, derrière les rideaux d’une fenêtre, une lumière allumée s’éteint (image 5). A ce moment, la bande son joue trois notes aiguës exprimant une incertitude. L’écho de la dernière de ces notes continue ensuite, pendant que la caméra fait le tour de la maison et entre dans la maison par l’arrière. A ce moment, en sous face, un thème musical commence à s’établir : une note synthétique aiguë et longue sur laquelle est plaquée trois accords bref. Les accords passent d’harmonique à disharmonique, tout en passant du mode majeur au mode mineur. La caméra est dans une cuisine. Un bras (celui de la personne subjectivée) ouvre un tiroir et prend un couteau. Le bras et le couteau pris sont flous. Mais tout de suite, le couteau est tenu dans sa forme agressive (image 6)… avant de disparaître au dessus de l’écran. La salle à manger est vide, comme sans vie : quatre chaises autours de la table avec nappe et bougies éteinte, l’ombre du lustre sur un mur. La caméra rentre dans cette pièce, puis entre dans le salon, où sont visible le meuble supportant une télévision éteinte, une pendule et un rocking chair. La caméra entre avec prudence dans le couloir.

LE GARÇON (off)
Écoute Susan il est tard, il faut que je file

SUSAN (la fille) (off)
Tu m’appelles demain ?

LE GARÇON (finissant de remettre son T-shirt, image 7)
Oui d’accord.

SUSAN (off)
Promis ?

LE GARÇON
Oui.

Il finit de descendre les marches et sort de la maison, tandis que la caméra recule – se cache – dans le salon. À nouveau, la caméra sort du salon et monte les marches de l’escalier. La bande son, comme bloquée sur un accord aigu depuis tout à l’heure, se met à augmenter. Alors qu’elle est au milieu de l’escalier, l’horloge vient frapper ses douze coups (image 8).

A l’étage, le masque de clown est à l’entrée d’une salle dont la porte est ouverte. Au-delà, des vêtements. Le même bras qui avait pris le couteau tout à l’heure se saisit du masque (image 9) et le place sur la caméra (image 10). Le spectateur n’a désormais plus qu’une vision fragmentaire de la scène. Le son de l’accord diminue, sans s’arrêter pour autant.

La caméra observe : les vêtements vont jusqu’à un lit bordé : l’acte n’a pas été fait ici. Mais il y a une porte ouverte à coté. Lorsque nous voyons Susan, nue, en train de se peigner, devant son miroir, la bande son présente un autre accord qui relance l’écho (image 11).

La caméra avance, mais avant de s’occuper directement de Susan (le spectateur que j’étais alors pensait ça) il jette un œil sur le lit défait – preuve que l'acte a été consommé. Dès lors, plus rien n’empêche la caméra de tuer Susan. Elle se retourne…

SUSAN
Michel !

La bande son envoie une note grave sans pour autant enlever l’accord aigu.

Le personnage subjectivé est donc une connaissance de Susan, un membre proche puisque de sa famille (ce qui justifie d’autant plus le meurtre, car elle n’est pas majeure, etc.) Elle commence par regarder où se placent ses coups de couteau : s’assurer qu’elle est bien en train de tuer Susan. Puis, son regard quitte Susan pour ne plus regarder que l’origine des coups de couteau qu’elle envoie, soit uniquement lorsque son bras revient à la verticale avant de redescendre. Une mise en abîme de la violence : le spectateur, au travers de ce masque, ne regarde plus que sa propre violence. Ce qui peut aussi être interprété par : le meurtrier cherche à voir au travers de son acte le spectateur qui le pousse inconsciemment à agir (sans quoi il n’y aurait pas de film).

Sa petite affaire terminée, Susan tombée sur le sol, les accords brefs aigus reprennent, et Michel, toujours subjectivé, prend la fuite (image 12). Mais au lieu de revenir en arrière pour reprendre le chemin par lequel il est venu, il semble s’engager dans une aventure, en prenant une nouvelle porte, puis un autre, avant de se retrouver sur le palier et redescendre au rez de chaussée, avant de quitter la maison.

Une voiture arrive, s’arrête, et un couple d’âge mur en sort. Le meurtrier s’avance vers eux, et eux s’avancent vers le meurtrier.

LE PERE
Michel ?

Second plan :

Plan large sur la main du père qui enlève le masque de son fils (image 13).
Travelling arrière assez rapide finissant par une contre plongée encadrant la gloire américaine : un pavillon de banlieue, une voiture, deux parents et un fils épanoui (il est déguisé en clown), à la différence que le fils était sous le masque, et qu’il a donc à la main un couteau ensanglanté (image 14).

Fondu au noir.


Carpenter a placé cette séquence au début de son film. Pourquoi ? Elle donne certes des indications sur les antécédents du futur tueur, mais pas seulement. Ici, il me faut citer Pierrot le fou :


                        PIERROT
            Je me suis toujours demandé ce qu’on cherchait au cinéma.

                        SAMUEL FULLER
            Love, hate, violence, death… in one word, emotion.
            (Amour, haine, violence, mort… en un mot, de l’émotion.)


Nous allons au cinéma pour ressentir ce qui est défini par Samuel Fuller. Carpenter, commençant son film de cette façon, propose tout cela, avec cependant quelque chose de supplémentaire, induit par le plan subjectif : c’est finalement le spectateur qui « voit » l’amour, et qui est forcé d’en ressentir de la haine, allant jusqu’à tuer Susan.

Mais Carpenter ne s’arrête pas là, car il fait un contre-champ : cet enfant que le public voit, ce n’est pas encore le ‘Michel’, assassin de sa propre sœur, mais surtout, de par le démasquage, un miroir, à vif, du public. Tant que l’enfant avait le masque, il n’y avait pas de mise en péril. Mais la question n’est plus la même dès lors que l’on découvre le visage angélique de l’enfant (petite moue sympathique, regard désintéressé, cheveux blonds). Car au travers de ce visage, enfin dévoilé, le public projette toute sorte de causes qui l’ont poussé à commettre cet acte horrible. Et l’on ne voit plus le visage.

Mais aussi parce que Carpenter ne nous laisse pas le loisir de l’observer. Tout de suite, par le travelling arrière, il ne demande plus à son public de comprendre pourquoi ce jeune enfant a fait une telle action, mais il lui propose de comprendre pourquoi, dans cet environnement, le petit a-t-il été poussé à commettre l’irréparable.


Avant de proposer une conclusion sur l’œuvre d’art qu’aurait réalisé Carpenter, il me faut faire un passage par Pascal Bonitzer dans son livre Le champ aveugle, compilation remaniée de ses articles interrogeant le cinéma dans ses rapports avec la « réalité », paru dans les Cahiers du cinéma. Un article intitulé simplement ‘le suspense Hitchcockien’ exprime ce que Carpenter a fait de façon si personnelle (et si grandiose).

Tout part d’une tâche. Une tâche qui s’étend sur la pellicule. Une tâche qui s’attaque de façon mécanique aux personnages[2]. Cette tâche peut prendre plusieurs formes. Dans certain films, ce sera une action délibérée du monteur, qui organisera (désorganisera) le montage logique de la séquence[3]. Dans d’autres, se sera une vraie tâche.

Pour reprendre Hitchcock, afin d’expliciter l’article, il suffit de prendre la fameuse scène de l’avion de la mort aux trousses (North by Northwest, Hitchcock, 1959). Cary Grant attend, sur une route dans un désert de champs ensoleillés, celui qu’il pense être Mr. Kaplan. Soudain, un avion apparait et se rapproche de lui. De façon symbolique, c’est la mort qui se rapproche du protagoniste de cette histoire. Mais si l’on regarde le montage d’une façon formelle, c’est avant tout un système de champ/contre champ, entre le désert avec l’avion et le visage de Cary Grant. L’avion, d’abord un point, finit par prendre tout l’espace du cadre. La tâche, d’abord un point, finit par envahir la pellicule. L’objectif de l’avion – celui de la tâche – est destructeur vis-à-vis du contre champ, vis-à-vis de Cary Grant.

Vous pouvez voir cette séquence à cette adresse : http://youtu.be/g458w2X9uHc

Il en va de même dans Halloween. Ce n’est simplement pas le même type de tâche. Carpenter a décidé que ce serait le public – du moins ceux qui voient son film. Ceux qui viennent voir Halloween veulent de l’émotion ? De l’amour, de la haine, de la violence et de la mort ? Il sert ce public en lui faisant endosser le rôle d’un des acteurs.

Dès lors, l’art est mort, puisqu’il n’y a plus de distance entre le spectateur et le produit de l’œuvre. Carpenter est un artiste moderne. La suite du film développe son propos en proposant Jamie Lee Curtis qui veut être épiée (plaisir coupable) mais qui veut aussi détruire cette pulsion.




[1] French Theory, François Cusset, sur l'histoire de la théorie Française aux Etats-Unis dans les années 1960-1970.
[2] Revoir à ce propos le début de Ne te retourne pas, cité en début d’article, qui représente clairement ce procédé.
[3] Voir à ce propos le travail "extrémiste" de Peter Tscherkassky, http://vimeo.com/23473451.

1 commentaire:

  1. Hummm... Halloween date de la fin des années 70 en fait... C'est le troisième film de John Carpenter... ;p

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