samedi 16 octobre 2010

High Plains Drifter - l'homme des hautes plaines

High Plains Drifter – L’homme des hautes plaines


high_plains_drifter_02
Réalisé par Clint Eastwood
Ecrit par Ernest Tidyman et Dean Riesner (non crédité)

L’homme des hautes plaines est le second film de fiction dirigé par Clint Eastwood, en 1973. Ce dernier fait encore ses premières armes : le film se rapproche de la profondeur et du minimalisme qu’auront par la suite Impitoyable, Sur la route de Madison ou plus récemment Grand Torrino, sans arriver cependant au même niveau émotif. C’est vraiment le film d’un grand cinéaste en devenir.

Ce western raconte l’histoire d’un cowboy qui arrive dans un petit village et qui est engagé par le shérif pour qu’il protège les habitants de trois tueurs qui ont pour ambition de mettre la ville à sac. Ce cowboy, dont l’identité nous est inconnue tout le long du film, accepte, à condition qu’il puisse faire tout ce qu’il souhaite.

Les scénaristes doivent nous faire comprendre que ce cowboy est le plus fort, un peu comme un super-héros. Il doit donc dominer sur le masculin et le féminin. Observons maintenant comment est composé le début du film : le cowboy arrive au village. Les habitants masculins le provoquent et il répond en les tuants. Les habitantes féminines le provoquent et il répond en les violant.

Ce cowboy tient des relations ambiguës avec cette ville, comme nous le découvrirons par la suite, et apparait ici comme quelqu’un de violent, qui possède une conception du bien et du mal bien à lui : à chaque fois, sa réponse apparait disproportionnée par rapport à la provocation. Cependant, le spectateur ne le prend pas pour le grand méchant de l’histoire : il s’identifie même tout de suite à lui. Afin de comprendre comment les scénaristes ont fait pour que ce personnage ne soit pas antipathique, il faut comprendre le travail d’orfèvre réalisé par les scénaristes, lors de cette séquence.


high_plains_drifter_01

Le cowboy arrive au village.

Cette proposition peut être à nouveau séparée en deux : le cowboy arrive à vue du village ; il y pénètre.

Pendant qu’il fait le trajet pour arriver à vue du village se déroule le générique en surimpression. L’image propose pour tous personnage le cavalier sur son cheval. Le montage nous oblige à suivre son avancée, et insiste sur les sabots du cheval. Nous n’avons alors aucune idée des ambitions du cavalier, mais du fait que son cheval avance de façon hasardeuse sur le sol meuble, le public s’inquiète un peu pour celui qui le chevauche. Nous avons l’intuition qu’il s’agit de Clint Eastwood, étant donné que son nom, sur le générique, c’est inscrit juste après l’apparition du cavalier. Mais nous ne voyons pas son visage.

Le village apparaît en contre bas, avec le cowboy en amorce. Celui-ci continue sa descente, et passe ensuite par un cimetière avant d’entrer dans l’espace juridique de Lago. Le cimetière donne un destin au personnage. Nous reviendront sur ce lieu avec un autre axe problématique, lorsque nous allons parler du côté spectral de ce personnage, aussi n’anticipons pas. Le coté juridique est précisé par la pancarte, et l’espace juridique est construit : une route principale, bordée de maisons de bois. Cette route se déroule jusqu’à une église et se perd ensuite. Cette ville est une impasse, nous y reviendrons. Pour lors, reprenons notre cowboy, dès qu’il entre à Lago. Comme dans un western classique (et d’autres films aussi, comme Vanishing Point qui reprend le même thème d’homme solitaire à priori rejeté car non fixé), il est scruté comme un élément indésirable. A ce moment, les personnages nous sont tous présentés. Certains sortent d’un saloon, d’autres occupent les taches de maitre d’hôtel… tous sont au même niveau que lui. Seule une femme se situe à l’étage supérieur. Nous ignorons alors que c’est la femme « respectable » (là encore, nous y reviendront) qui est vue en contre plongée. Tous les hommes qui le scrutent suent – Les femmes, non, et l’étranger que nous suivons depuis le début non plus. Suer est-il synonyme, comme dans le Jules César de Mankiewicz tel qu’analysé par Barthes dans ces Mythologies, de débat profond sur la moralité de leurs actes ? Quand ceux qui ne sueraient pas seraient, comme le personnage de Jules César dans ce même film, serait ceux qui n’auraient pas de problèmes avec leur conscience ?

Notre cowboy solitaire gare son cheval au bout de la rue, près de l’église, puis revient au saloon.

high_plains_drifter_05
Les habitants masculins le provoquent et il répond en les tuant.

Nous entrons ici dans la seconde scène du film. A nouveau, cette proposition peut être divisée en deux : il va au saloon où on le provoque. Ensuite, il va se faire raser, et il répond à ce moment là à la provocation initiale.

Dans le saloon, la tension est visible, de par la pénombre de la pièce, allié à la couleur sombre des boiseries, tout ceci entrant en opposition avec le soleil violent de l’extérieur. Le cowboy demande une boisson (et une bouteille). On l’agresse pour la première fois verbalement, le traitant de « clochard » en version française. Il n’y a pas de réponse à apporter, aussi le cowboy n’en apporte-t-il pas. Il sort juste avec sa bouteille. Ensuite, il va se faire raser.

L’échoppe où l’on rase est très claire, à l’opposée du saloon. Elle est ornée de grandes fenêtres et laisse par suite entrer la lumière. Le barbier tremble lorsqu’il voit le cowboy entrer, mais il reste professionnel et lui propose ses services. Lorsqu’il voit les cowboys qui sortent du saloon en face et qui se dirigent par ici, il fait tourner le siège du cowboy pour que ce dernier ne les voie pas. Ainsi, les bad guys peuvent entrer sans problèmes dans la boutique. Et là, ils se provoquent à nouveau. Les hommes fraichement entrés vont pour tuer, mais celui qui est visé tire de sous sa serviette blanche, avec une précision diabolique. Tel était pris qui croyait prendre. Il s’essuie et quitte le magasin.

Plusieurs choses nous auraient poussés à prendre le cowboy pour un personnage antipathique, si elles n’avaient pas été amenées dans le bon ordre. Car en fait, il montre ici sa supériorité. Si l’on exclu l’ambiance lourde qui pèse sur le village pendant l’arrivé de Clint Eastwood (appelons-le comme ça, ce qui lui donne un nom), et qui se perpétue dans la suite de l’arrivée jusqu’à la mort des méchants, il y a des éléments de mise en scènes qui montrent qu’il est rejeté. La façon dont le barman décrédibilise sa bière en la servant, par exemple. La mise en scène : Clint face au reste de la ville, l’opposition se faisant oppressante car les hommes (il n’y a que des hommes dans le saloon) sont tout au fond, dans le bar, quand Clint vu, avec des taches de lumières derrière lui. Il se contient, cela se sent, mais il ne bouge pas. Ce n’est que lorsque sa vie sera mise en danger qu’il agira avec brio, soit dans le magasin du barbier, qu’il agira avec brio. Lorsqu’il tue, malgré que les plans s’enchainent à toute allure, une certaine insistance est faite sur le fait que les balles sont tirées avec précision, entre les deux yeux. Finalement, Clint ne tue pas de sang froid, mais dans un état de légitime défense. En plus, il tire bien. C’est à la fois le plus fort et le héros. Il règne sur les mâles.


high_plains_drifter_04
Les habitantes féminines le provoquent et il répond en les violant.

Cet épisode passé, Clint ressort de chez le barbier, se fait féliciter par un personnage-nain qui a son intérêt dans la suite de l’histoire, puis il se déplace avec un objectif qui nous est inconnu (et qui d’ailleurs n’a pas d’importance). Le cowboy a maté les hommes, que va-t-il en être des femmes ?

Une fille, Callie Travers, s’approche, et se heurte volontairement à lui. Elle commence à l’insulter. Il la prend par le bras, l’amène dans une grange et commence à la violer. Alors qu’elle ne voulait pas, dès qu’il semble être en elle, tout d’un coup son caractère change, et elle le retient.

Cette nouvelle séquence apparait comme une déclinaison de la précédente : les mêmes choses se passent, mais ici, le cowboy répond avec un acte sexuel, que, visiblement, il sait bien faire. Comme la femme apprécie, Clint gagne à nouveau sur ce tableau, et surtout, comme elle apprécie, il ne passe pas pour un méchant. En contre partie, la ville est vue comme un ennemi potentiel.

Les femmes dans ce western

A présent que ce début de film a été observé, arrêtons nous un instant sur les femmes qui composent ce western. Alors que l’on voit une pluralité d’hommes, cette ville semble presque dénuée de femmes. Effectivement, il n’y en a que deux. Pourquoi sont-elles si peu nombreuses ? Quels liens entretiennent-elles ?

Les deux femmes sont Callie Travers, dont nous venons de voir la présentation, et Sarah Belding, qui apparait deux séquences après la dernière que nous avons analysée, lorsque le cowboy va chercher un lit. Sarah Belding est la femme du gérant de l’hôtel. Sarah se présente d’emblée à l’opposée de Callie, car elle n’a alors pas spécialement envie de coucher avec ce cowboy étranger, au début du film. Lorsqu’il lui demande pourquoi Callie fait-elle tant de raffut à cause du ‘viol’ qu’elle a apprécié, elle lui répond : « parce que vous n’avez pas réitéré. » Ceci signifie qu’elle analyse, comprend et connait les autres personnes de la ville, en plus de gérer un hôtel, lors de l’absence de son mari. Elle est donc responsable. L’opposition qui se fait entre elles tient sur le rapport au sexe : une fille ‘facile’, qui le fait passer avant tout, et une femme respectable, qui fait passer son travail avant son plaisir.

Dans le film, Clint Eastwood bénéficiera des grâces de ces deux femmes, mais pas au même moment, et pas dans les mêmes conditions. Comme nous l’avons vu, il prend Callie pour la première fois dans une grange, où il la viole avant qu’elle accepte de le conserver en elle. La seconde fois qu’elle lui offrira ses grâces, ce sera après un dîner à l’hôtel, dans la chambre du cowboy. Elle en sortira avant que ladite chambre ne soit littéralement détruite par des hommes. Sarah Belding était la serveuse, lors du repas qui a lieu entre le cowboy et Callie. Elle parait un peu irritée de jouer ce rôle. Cependant, elle ne peut pas ne pas noter que Clint Eastwood traite Callie comme une ‘lady’. Aussi, à partir de ce moment, elle peut se laisser à lui, puisqu’il a des manières. C’est pourquoi juste après que sa chambre ait été brûlée, elle propose sa chambre à Clint (sous un biais dramatique qui révèle que son mari est un trouillard). A l’intérieur de la chambre a lieu une petite rixe, initiée par Sarah, afin de comprendre si oui ou non, le cowboy veut la violer. (la réponse est non), et elle finit par coucher avec lui.

Nous sommes proches de la fin du film, où Callie se fera houspiller par les brigands qui reviennent, quand Sarah décidera de quitter cette ville. Ces destins opposés (Callie restera définitivement en ville) montrent clairement l’évolution du concept du personnage féminin qui englobe ses deux entités : soyez responsable, et ne cédez que par amour sincère – Hollywood est conservateur. Cette étude, sur les caractères féminins, n’est qu’une petite partie du matériel que l’on peut analyser dans ce film.

L’étude de ses deux personnages montre deux choses. Tout d’abord, comme le précisait Thomas Shatz dans les années 60, le western est un genre « défini » : un lieu, un héros solitaire qui bouleverse l’ordre des choses, et qui le quitte bouleversé. Le héros est un personnage n’évoluant pas dans le cas du film qui nous intéresse, par contre, à peu près chaque personnage (et chaque entité représentée) évolue. Clint Eastwood quitte le village, et rien ne peut plus être comme avant. Ensuite, par rapport au genre du western, qui a beau être destiné à un public avant tout masculin, du moins à l’époque, et où les femmes étaient de mœurs plutôt légères, cet exemple montre bien que bien qu’elles se laissent toutes deux dans ce film passer sur le corps volontairement par plus d’un homme, jusqu’à montrer à son mari qu’elles le trompent, toutes ont une fonction par rapport à ce que dit l’ensemble du film.

Pour finir, voici le trailer :


-------------------------------------------------------
J'ai étudié précédemment Gran Torrino à l'adresse suivante :

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire